Afficher le menu

Extension du domaine de la harpe. Entretien avec Valeria Kafelnikov.

Entretien Par Jéremie Szpirglas, le 24/05/2021

 

Le 28 mai prochain, à la Philharmonie de Paris, Valeria Kafelnikov sera la soliste de wohin de Mark Andre, une commande de l’Ensemble intercontemporain assortie d’une contrainte singulière : le thème de Prométhée. Une œuvre qui est le fruit d’une collaboration très étroite du compositeur et de son interprète, mais aussi d’une réflexion que cette dernière mène autour de son instrument depuis bien longtemps. Aperçu de cette harpe nouvelle.

Valeria, comment est née cette nouvelle œuvre de Mark Andre  ?

Je connais et apprécie la musique de Mark depuis longtemps. Il a une immense et très fine connaissance de la harpe et ses œuvres constituent des pièces de tout premier plan dans le répertoire. Aussi, lorsqu’il a été question de ce projet de création, lors de notre rencontre à Donaueschingen, en Allemagne, j’ai été très heureuse de cette perspective. 

Comment avez-vous collaboré avec lui ?

Nous avons beaucoup échangé. Mark m’a notamment posé la question de mes aspirations sur l’instrument. J’ai été touchée de la grande attention dont il faisait preuve, de sa curiosité et de son écoute et je lui ai très spontanément fait part de mes recherches actuelles, de mon souhait d’imaginer un instrument en expansion, de le projeter vers l’ailleurs et ainsi de ne plus inscrire les cordes dans un seul plan. L’idée est de penser les cordes de la harpe comme des liens, des attaches qui serviraient à relier ce corps vibrant à d’autres corps vibrants, à en ouvrir la sonorité. Ainsi nous avons expérimenté de nombreuses configurations de façon totalement empirique, et Mark a décidé de disposer la harpe entre un tam et un gong, et de tendre des cordes entre ces instruments. Ces cordes sont de nouveaux espaces sonores tout à fait inédits.

 

Quel « lieu commun » avez-vous trouvé pour élaborer le langage de la harpe ?

Nous avons partagé une grande joie à explorer, tester, recommencer. Pour finalement obtenir un objet sonore inconnu… bien sûr, s’est posée la question de comment le jouer, avec quelles nouvelles limites, quelles nouvelles possibilités, quelle notation… Nous avons obtenu un objet tentaculaire, une sorte de toile d’araignée sonore. Apprendre à connaître ce corps nouveau éveille l’imagination, d’autant plus que cette expérience est nourrie par le mythe de Prométhée.

Qu’en est-il de la dimension concertante de l’œuvre ?

Du point de vue du discours concertant, la pièce est passionnante. Je vois une possibilité de relief extraordinaire dans l’orchestration. La transparence de l’écriture permet au soliste d’apparaitre sans effort, de jouer avec les ombres de l’orchestre. Je m’appuie beaucoup sur l’imaginaire de la lumière, avec ses ombres, son immatérialité et ses éclats. C’est une écriture à la fois très épurée et très concentrée que je n’ai pas entendue encore (les répétitions commencent dans quelques jours). Malgré la virtuosité de l’orchestration ce sera une gageure de faire entendre dans la salle des concerts de la Cité de la Musique tous les détails de l’écriture sans déperditions.

Enfin, quels sont, selon vous, les principaux enjeux de cette création ?

Pour moi, c’est définitivement de rendre compte de la diversité très subtile et foisonnante de l’imagination sonore de Mark André. Ainsi mon travail a consisté à constituer un vocabulaire nettement répertorié pour offrir à l’auditeur l’expérience de la couleur sonore la plus riche possible.

 

Photos (de haut en bas) : © Franck Ferville / © EIC