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Chercher l’erreur. Entretien avec Mikel Urquiza, compositeur.

Entretien Par Michèle Tosi, le 22/03/2024

Surprendre, inventer, détourner… Actes manqués, la nouvelle œuvre de Mikel Urquiza au programme du concert du 29 mars à la Philharmonie de Paris, s’y emploie avec bonheur, invitant sur scène Valeria Kafelnikov et sa harpe électrique.

Mikel, on te connaît pour la verve inimitable de ta musique et la vitalité que tu instilles dans chaque pièce de ton catalogue. À quelle source es-tu allé puiser pour cette nouvelle commande de l’EIC qui sera créée le 29 mars prochain ?
Dans ces Actes manqués, je suis allé chercher l’erreur. Cela faisait longtemps que la fécondité de l’échec me titillait ; de Beckett à Ernaux, c’est une recherche profonde en littérature que la musique préfère souvent éviter, peut-être par superstition. L’écrivain Claro nous rappelle qu’échouer, c’est aussi arriver – tant qu’à faire sur une plage abandonnée.

La harpe figure dans bon nombre de tes pièces chambristes. Pourquoi le choix d’une harpe électrique et de quel instrument s’agit-il exactement ?
La harpe a été absente de ma première éducation musicale ; elle est très peu répandue en Espagne et c’était pour moi un instrument de rêverie, et presque rêvé, car jamais vu. Lors de mes études de composition je m’y suis habitué, mais elle a conservé une partie de son aura mythique… La harpe électrique et chromatique, rarissime, c’est Valeria Kafelnikov qui me l’a montrée : à première vue on dirait une harpe celtique, mais elle est (plus) branchée ; c’est un modèle sportif qu’il faut maîtriser. Amplifiée comme une guitare électrique, elle a un son puissant qui peut être transformé à l’aide de pédales (distorsion, harmonizer, wah-wah), mais aussi une disposition chromatique des cordes (avec des demi-tons juxtaposés, comme au piano) qui permet des enchaînements d’accords plus variés. Un univers féerock ?

À propos du titre (que tu mets au pluriel) Actes manqués, tu évoques le désir qui nous fait prendre, inconsciemment, « le chemin de travers » : quel a été ton désir en écrivant cette pièce ?
Les actes manqués sont sans doute des actes ratés, dans le sens où ils n’atteignent pas leurs objectifs, mais aussi des actes révélateurs d’un désir inconscient – et parfois réussis dans une tout autre direction. Pour que l’instrument des anges descende aux enfers électrifiés, il faut bien qu’il trébuche sur une nuée, mais il n’est pas exclu que les flammes lui plaisent…

Tu parles de work in progress au fil des rencontres avec l’interprète Valeria Kafelnikov à qui la partition est dédiée ; le travail a donc été collaboratif. Quelles ont été les étapes de l’écriture et à quel niveau s’est située votre collaboration ?
Les étapes ont été nombreuses (notamment parce que je ne connaissais pas la harpe électrique) mais lorsqu’on travaille avec des amis, cela se fait de façon très naturelle ; entre la proposition d’écriture et la version qu’on a entre les mains je compte un déjeuner, quatre cafés, trois séances de travail avec l’instrument et vingt échanges de mail où l’on a envisagé ensemble autant les problèmes techniques que les choix musicaux. Valeria est une musicienne complète, sensible et exacte, aux talents de cheffe d’orchestre. Je laisse ma pièce en très bonnes mains.

Elle aura, à portée de mains précisément, quelques accessoires pour jouer autrement sur les cordes de son instrument…
Oui, cette pièce est une exploration de l’instrument, autant pour moi que pour le public, et lorsqu’on découvre un nouveau corps, il faut tâter… avec ses doigts, ses ongles, et tous les jouets qu’on voudra : j’ai emprunté le bottleneck (petit tube lisse pour produire des glissades) à la guitare électrique et le crin de l’archet au violon ; ici, il est noué directement à une corde de la harpe qu’il fait frémir lorsqu’on l’effleure, c’est un dispositif très sensible.

Les sous-titres, un brin elliptiques, des trois mouvements (N’est pas d’or, Tant va la cruche, Game over) intriguent… Sont-ils de fausses pistes ou, au contraire, dessinent-ils une dramaturgie ?
Ces dictons dits à moitié – « n’est pas d’or » (tout ce qui brille) et « tant va la cruche » (à l’eau qu’à la fin elle se casse) – sont des indices de déception, et dans ce sens des vraies fausses-pistes (mais de vraies pistes seraient fausses !). N’est pas d’or sculpte dans un arpège serein et doux une seconde musique plus saillante, tandis que Tant va la crucheconstruit à partir de sonorités bruitées et répétitives (en quelque sorte déjà cassées) un rituel voué à l’échec. Game over s’intéresse moins à la nature de la défaite qu’à la persévérance : l’idée de triompher en mourant (par la mort, et non de la mort) et de considérer chaque faillite avec légèreté me semble rafraîchissante.

Ta musique sollicite souvent la voix, parlée ou chantée.  Est-elle présente, de façon sous-jacente, dans Actes manqués ?
La voix n’est pas présente de façon explicite, mais on ne peut pas nier un certain goût du cantabile, pourvu qu’on accepte une définition non « bellinienne », et que chanter faux est ici chanter juste…


Photos © Franck Ferville