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Pasquale Corrado : un point c’est tout.

Éclairage Par Pasquale Corrado, le 22/03/2024

C’est dans les nouvelles d’Italo Calvino, mêlant fantastique, cosmique et… comique que le compositeur italien Pasquale Corrado a trouvé l’inspiration de Tutto in un punto, sa nouvelle œuvre pour clarinette et grand ensemble au programme du concert du 29 mars à la Philharmonie de Paris.

Tutto in un punto mêle l’imagination d’Italo Calvino à ma vision personnelle de cette extraordinaire œuvre littéraire. À travers cinq scènes, inspirées de cinq nouvelles des Cosmicomics, j’ai imaginé un voyage à travers des mondes fantastiques, en ayant la possibilité de faire vivre l’ensemble de ma pièce dans une salle de concert.

Chaque scène, en effet, a son espace scénique et son ensemble instrumental dans lequel le protagoniste, Jérôme Comte à la clarinette solo (photo ci-contre), ne peut s’absenter. La première scène « La distance de la lune » nous transporte dans un monde où la lune est si proche de la Terre que nous pouvons nager jusqu’à elle. Le soliste, en perpétuel dialogue avec l’ensemble, traverse les surfaces rugueuses de la lune, se déplace en exaspérant la vitesse d’exécution des figures musicales proposées, crée des élasticités temporelles continues avec les instruments et reste spectateur des étincelles synthétiques (grâce à l’utilisation de synthétiseurs portables monophoniques) qui marquent son rythme jusqu’au début de la deuxième scène intitulée « Un signe dans l’espace ».

On se retrouve au centre de la salle : la clarinette solo rencontre la clarinette basse et le piano pour donner vie à un univers dans lequel un signe mystérieux apparaît dans le ciel étoilé. Par l’observation des astres (éclats continus de sons aériens ponctués de carillons de piano) et des corps célestes (battements continus et obsessionnels explorant le spectre harmonique), nous tenterons de décrypter le sens de ce symbole énigmatique et de comprendre son impact sur le cosmos.

Sur la droite du plateau, nous arrivons à la troisième scène, « Combien misons-nous ? », dans laquelle nous nous immergeons dans un monde de « paris cosmiques » grâce à l’utilisation d’échos générés par des appareils Bluetooth. Nous assisterons à un voyage tourbillonnant et imprévisible, avec de légers décalages continus, exactement calculés, « comme une multitude d’horloges déphasées ». Des gestes soudains du quatuor à cordes naissent des articulations imprévisibles lorsqu’ils rejoignent la flûte et la percussion, se développant en un chemin sinueux, comme une matière en ébullition continue.


« Les Années-Lumière », la quatrième scène, verra la clarinette libre de parcourir le parterre au travers d’un mouvement en cercles concentriques. L’idée musicale est de créer une ligne élastique, fluide, qui navigue dans l’espace comme une sonde spatiale explorant les distances sidérales entre les étoiles et les conséquences que le temps a sur nous.

La cinquième et dernière scène « Un point, c’est tout » verra le soliste et l’ensemble converger vers la scène principale. Tout part d’un point d’origine primordial, d’un geste initialement pulvérisé, nébuleux et extrêmement raréfié de l’ensemble, qui enflamme chaque phrase de la clarinette. L’instrument soliste catalyse l’énergie des nuages articulatoires de l’ensemble, en y réagissant de manière de plus en plus détendue. Il en résulte un dialogue permanent entre compression et dilatation, entre éclatement et cohésion, entre sons initiaux émiettés et figures musicales recomposées qui s’enroulent dans un parcours tourbillonnant qui implique toujours l’ensemble et ne s’arrête que dans le final hypnotique. Les nuages sonores se raréfient à l’extrême et le soliste nous conduit au bout du voyage, s’étirant toujours plus loin dans des bouffées de sons et d’air qui colorent la scène.

Photos (de haut en bas) : DR / © Quentin Chevrier