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« Rothko Chapel » de Morton Feldman.

Éclairage Par Matthieu Guillot, le 20/02/2024

Le 8 mars, à la Fondation Louis Vuitton, les solistes de l’EIC et les Cris de Paris interpréteront Rothko Chapel du compositeur américain Morton Feldman, au cours d’un concert en toute intimité, en écho à la rétrospective que la Fondation consacre au peintre Mark Rothko jusqu’au 2 avril.  

Œuvre de circonstance, étroitement liée à un lieu et à un environnement, Rothko Chapel se singularise par l’emploi d’une formation instrumentale peu courante, déterminée par les toiles que Mark Rothko a peintes pour une chapelle construite en 1971, ainsi que par l’espace octogonal de celle-ci. Remarquable en son délicat dépouillement, la composition de Morton Feldman (photo ci-dessous) est formée de quatre parties contrastées qui s’enchaînent, traversées par le chant solitaire et nu de l’alto dont le fil ténu relie toute l’œuvre. La fragilité de l’alto, élément central, alterne avec les interventions processionnelles du chœur, la densité des accords tenus créant par instants un fond fluctuant comparable aux surfaces chromatiques de Rothko. Les textures vocales quasi immobiles en tissage serré, auréolées de douces résonances des percussions, fait de cette musique une stase, une présence figée dans son émergence infime.


La retenue tendue d’interventions clairsemées (timbales, pizzicati à l’alto, voix soliste…) rend une présence sonore parfois réduite à un presque rien (début : tremblements très doux des timbales), qui conduit l’auditeur au recueillement : silences entrecoupant le lent flux musical, discrétion absolue des percussions, au geste résonant proche du cérémonial. Le son éclot dans la vibrante simplicité de son apparaître, installe un environnement spirituel où règnent paix et sérénité. La dernière partie, dans un effet de surprise, introduit contre toute attente une stabilité consonante dans une émouvante mélodie à l’alto, très lyrique, sur ostinato de vibraphone. Le temps feldmanien se déploie finalement… Morton Feldman souhaitait à travers cette œuvre non pas « transcrire » la peinture de Rothko, mais que son énergie spatialisante (H. Maldiney) se fasse « résonance » ; que l’état de repos apparent se mue en frémissement à travers des « radiations de présence », par lesquels l’audible s’absente au profit d’un inaudible tendant à se présentifier.

 

Photos : DR