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« Aile du songe » de Kaija Saariaho.

Éclairage Par Sophie Cherrier, le 08/02/2024

Le 15 février, à la Philharmonie de Paris, Sophie Cherrier sera la soliste d’Aile du songe de Kaija Saariaho, sous la direction de la propre fille de la compositrice. Une œuvre entre ciel et terre (comme ses deux parties, Aérienne et Terrestre, le suggèrent) et dans laquelle, tel un oiseau, la flûte prend son envol.  

Je crois que Kaija Saariaho aimait beaucoup la flûte et son univers — en témoignent cette pièce, Aile du songe pour flûte et orchestre¹, et Laconisme de l’aile, toutes deux inspirées d’un même poème de Saint John Perse, ou encore Céleste, Dolce Tormento et bien d’autres. Elle aimait la flûte, oui, mais la flûte enrichie de différentes techniques pour plus de couleurs, de résonances, et pour créer une impression de polyphonie.

Dans L’Aile du songe, le travail du souffle, du vibrato, de la voix nous pousse très loin dans l’utilisation de l’instrument et c’est assez jouissif. Dans la deuxième partie de la pièce, par exemple, Kaija nous demande de dire, de chanter ou de murmurer, des sortes d’onomatopées, comme des mots d’un langage qu’elle a inventé. Kaija disait souvent : « Ne collez pas trop au texte ! ». Personnellement, je comprends cette injonction plus comme une liberté qu’elle nous donne de faire des choix, mais pour servir au mieux son langage. Par exemple, s’agissant des onomatopées, il m’arrive de les adapter pour en renforcer les effets.

L’Aile du songe a été composée en deux temps, et ses deux parties, « Aérienne » (en trois mouvements) et « Terrestre » (en deux mouvements), peuvent être jouées indépendamment l’une de l’autre. Cependant, à l’écoute de la pièce dans son intégralité, on peut imaginer une sorte de jeu de pistes : certaines formules récurrentes jalonnent la pièce, à l’instar des glissandi, que l’on retrouve du début à la fin, ou de cette petite cellule, à la fin du tout premier mouvement d’« Aérienne », qui, tel un appel, interrompt le discours. Cette même petite cellule donnera notamment naissance à « Terrestre ».

Toutes ces formules qui reviennent donnent le sentiment d’un rituel, guidé par des « oiseaux » tour à tour douloureux, tourbillonnant, mystérieux, aériens et intenses. Ce sentiment de rituel est particulièrement présent dans « Terrestre », qui s’ouvre sur l’image d’un oiseau d’un conte aborigène, en train d’apprendre à danser à tout un village. Cet « oiseau dansant » est fou furieux ! La partie de flûte est redoutable, rapide et énergique. Accompagnée de trois percussions rythmiques et fascinantes, elle entraine harpe et cordes dans une véritable tarentelle. Et puis tout se calme à nouveau, avec « L’Oiseau, un satellite infime », dernier mouvement de « Terrestre ». La magie opère dans un univers tout en finesse, et la toute fin s’envole… vers l’imaginaire.

¹dont nous donnons la version pour flûte et orchestre de chambre, en création française, sous la direction de Aliisa, la fille de Kaija.

Photos (de haut en bas) : Sophie Cherrier © EIC / Kaija Saariaho © Maarit Kytoharju, Wise Music