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« Abîme des oiseaux » d’Olivier Messiaen

Éclairage Par Alain Billard, le 21/03/2024

Lors d’un concert le 23 mars 2024 à l’Auditorium de Lyon, Alain Billard sera l’interprète de l’Abîme des oiseaux, extrait du Quatuor pour la fin du Temps d’Olivier Messiaen, composé en temps de guerre et à l’écho encore très actuel, comme nous l’explique le clarinettiste.

Quand je joue l’Abîme des oiseaux, je ne suis pas le même homme, tout simplement. Je ne peux pas jouer cette pièce sans songer aux circonstances tragiques de sa composition par Olivier Messiaen, en 1940, au Stalag VIII-A, en Allemagne. La pièce s’ouvre sur une représentation de « l’abîme » mentionné par le titre : c’est-à-dire la privation de liberté, l’enfermement dans un camp de prisonniers, l’Europe elle-même plongée dans les ténèbres. Messiaen indique textuellement sur la partition : « Désolé » – et ce début est effectivement lent et triste. J’y entends toute la bassesse de l’homme qui se manifestait alors. Trois mi identiques retentissent à intervalles réguliers, comme la sirène d’appel pour le rassemblement dans le camps. Chaque fois que je joue cette note, j’ai le sentiment d’être moi-même prisonnier. Cela dit, Messiaen avait une foi inextinguible, et son écriture porte en elle cet espoir qui l’illuminait.

Il apparaît au moins à deux moments, indiqués « Modérés » (peut-être un signe de la modération et de la nuance du caractère du compositeur), successions de grands intervalles montants et descendants, comme des appels au secours qui, hélas, restent sans réponse. Et puis, en contrepoint de l’abîme, Messiaen nous ouvre une fenêtre sur une forme de légèreté et d’insouciance : celle de l’oiseau, vif, gai, capricieux. Seulement cette insouciance ne dure pas, et la pièce se referme de nouveau sur une infinie tristesse. Aujourd’hui, je rejoue l’Abîme des oiseaux avec à l’esprit le fait que cette histoire, hélas, se répète, et pas si loin de nous.

Photo © Franck Ferville