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György Ligeti : aux sources du rythme.

Éclairage Par Vimbayi Kaziboni, le 23/02/2023


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our célébrer le centenaire de la naissance de György Ligeti, le chef d’orchestre Vimbayi Kaziboni a imaginé pour le concert du 3 mars à la Cité de la musique, un programme original mettant en perspective trois des œuvres du compositeur hongrois disparu en 2006  à celles de compositrices et compositeurs issus d’Afrique et des Caraïbes.

En songeant aux célébrations du centenaire de György Ligeti, j’ai eu envie d’explorer la manière dont son langage musical a évolué au contact de la musique africaine à partir des années 1980. Son processus compositionnel a été bouleversé en profondeur. Le moteur intime de sa musique a peu à peu intégré des formes polyrythmiques complexes. Et même le travail de l’harmonie (via les modes ou l’accord) s’est transformé, gagnant en complexité polyphonique. Cela est particulièrement audible dans l’œuvre pour piano, comme le Concerto pour piano ou les Études, ainsi que dans le Concerto pour violon et les Nonsense Madrigals.

Je crois d’ailleurs que le haut degré de multiplicité des influences dans cette musique figure en bonne place parmi les nombreux facteurs qui la distinguent des autres. C’est un véritable empilement de couches d’influences, dont certaines sont évidentes et d’autres plus subtiles. Les entendre toutes, appréhender et comprendre chacune, exige des centaines d’écoutes extrêmement attentives ! Ce qui n’empêche pas cette musique de toucher l’auditeur directement au cœur, même sans en saisir l’immense complexité.

Tout au long de ces réflexions, je me suis dit qu’il serait intéressant, voire poétique, de mettre ces œuvres de Ligeti en perspective avec celles des compositeurs africains qui, à l’intersection avec la musique occidentale de tradition écrite, aspirent eux aussi àadopter ou à styliser des éléments traditionnels africains dans leurs œuvres pour clavier, en particulier pour le piano. Ce concept est connu sous le nom de « pianisme africain », tel que théorisé par le compositeur nigérian Akin Euba dans les années 1960. Un des exemples les plus éloquents est selon moi le concerto pour piano Invisble Self d’Andile Khumalo, qui mêle dans un même geste compositionnel le jeu traditionnel du xylophone africain, les pianismes africains, et les techniques d’écriture spectrale.

L’effet relationnel des influences interculturelles a été un des éléments structurels de l’élaboration de ce programme, en jouant principalement sur les similarités et les divergences de traitement des différentes traditions au fil des œuvres. En fin de compte, tous les compositeurs en présence ont recours à des techniques et des éléments qui leur sont étrangers — voire travaillent une forme artistique qui leur est étrangère. D’une manière ou d’une autre, ici, le concept de « l’altérité » infuse la musique.
J’ai finalement le sentiment que le processus compositionnel de Ligeti lui-même a eu en retour une influence sur les autres compositeurs au programme de ce concert. Son inventivité a inspiré toutes les générations qui l’ont suivi, et ce concert nous montre également le rayonnement de Ligeti sur tous les continents, un rayonnement aussi vaste et influent que celui que les musiques traditionnelles africaines ont pu exercer sur l’art musical occidental.

 

Propos recueillis par Jérémie Szpirglas

 

Photos (de haut en bas) : © Wonge Bergmann / © Marion Kalter