Afficher le menu

La fabrique d'un langage – entretien avec Alberto Posadas

Entretien Par Véronique Brindeau, le 15/09/2009

Posadas

Vous travaillez actuellement à l’écriture de Glossopoeia, un projet qui met en jeu à la fois votre partition musicale, une partie chorégraphique et des images vidéo. Comment concevez-vous cette collaboration ?
La forme que prend notre collaboration est en étroite relation avec la nature même de ce projet, qui combine en effet musique, danse et vidéo. Il ne s’agit pas d’ajouter des disciplines artistiques les unes aux autres, mais bien de constituer une étroite relation entre elles au moyen de l’interactivité. Deux aspects se manifestent dans ce projet : d’une part, le processus de création de l’œuvre, d’autre part, son interprétation. Pour parvenir à une interaction au cours du processus créatif, nous nous sommes mis d’accord dès le départ sur un certain nombre de principes conceptuels, en étant conscients du fait que le travail du compositeur porte en lui un timing différent de celui du chorégraphe. Nous avons donc recherché un modèle unique susceptible de régir à la fois la composition musicale et l’écriture de la chorégraphie, ainsi que les images vidéo. Dans la mesure où, d’un point de vue pratique, c’est moi qui devais commencer le travail, j’ai décidé d’utiliser le modèle de Lindenmayer et j’ai proposé au chorégraphe Richard Siegal d’en donner une expression dans la partie chorégraphique.
En quoi consiste ce modèle ?
Ce modèle a été mis au point en 1968 par le biologiste Aristid Lindenmayer pour rendre compte de la croissance des végétaux. Il permet de générer des structures complexes par substitution de certaines parties au moyen de règles de réécriture. Il s’agit d’une sorte de grammaire générative. Ce que Lindenmayer applique à la croissance des végétaux est en fait très proche des figures fractales qui s’auto-génèrent selon des formules itératives. J’ai donc établi des règles de réécriture dans une perspective musicale, que j’ai transmises à Richard Siegal pour qu’il voie comment établir une interface entre ces règles appliquées à des sons et la -partie chorégraphique de l’œuvre.
Dans une œuvre précédente, composée à la demande de l’Ensemble intercontemporain (Oscuro abismo de llanto y de ternura, 2005), vous cherchiez à créer une structure qui soit un reflet de la structure interne d’un son, en référence à un modèle fractal : ce type de réflexion formelle continue donc de nourrir votre travail de compositeur ?
Ce qui m’intéresse, dans le fait de travailler avec ce type de modèles abstraits liés à des phénomènes naturels, c’est le fait de pouvoir contrôler des structures très complexes à partir de schémas très simples. Par exemple, le modèle de Lindenmayer rend compte de l’organisation des bronches, des bifurcations du système artériel, etc.
En ce qui concerne la dimension interactive de Glossopoiea, il y a aussi une partie électronique qui permet de capter et de transformer en temps réel les mouvements de danseurs et des sons…
L’interaction dont j’ai parlé à propos du processus de composition est en effet également présente au niveau de l’interprétation. Les trois danseuses sont équipées de capteurs. À travers un dispositif de reconnaissance gestuelle, leur mouvement opère des transformations de la partie électronique de la partition. Mais l’interaction qui est au fondement de l’œuvre est essentiellement liée à la cohérence de l’interaction entre les -différentes disciplines artistiques.
Avez-vous commencé à tester ces interactions avec les danseurs ?
Nous avons fait différents essais au Centquatre (Paris), en mars puis en juillet, pour vérifier la validité de l’interaction entre les mouvements et les sons. Virginie Mira, la scénographe du projet, travaille elle aussi à cette interaction. L’idée est de parvenir à la cohérence interne la plus forte possible entre les différents champs artistiques.
La partition est interprétée par quatre musiciens de l’Ensemble intercontemporain, que je tiens à nommer car ils font vraiment partie du projet : Odile Auboin, alto ; Alain Billard, clarinette basse ; Samuel Favre, percussion et Éric-Maria Couturier, violoncelle. Il y a également un cinquième musicien, virtuel celui-là : le mouvement propre des trois danseuses.
Que signifie ce titre, Glossopoeia ?
Le titre a été très intelligemment choisi par Richard Siegal. En grec ancien, cela signifie : « création d’un langage ». Le -titre est donc particulièrement adapté à ce projet, qui est constitué à partir d’une grammaire générative, et donc en quelque sorte à partir d’un langage inventé : une langue commune à la musique, la chorégraphie et la vidéo.
Propos recueillis et traduits de l’espagnol par Véronique Brindeau
Extrait d’Accents n° 39
– septembre-décembre 2009
Photo : Alberto Posadas © Maud Chazeau