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Vimala Pons : une artiste touche à tout.

L'invité.e Par Jéremie Szpirglas, le 22/05/2023

Comédienne, musicienne, performeuse, circassienne… Difficile de définir Vimala Pons, d’autant qu’elle aime mélanger les genres et cultiver l’art des masques, sur scène et dans la vie. Curieuse de tout, la musique tient une place de choix dans ses créations, l’amenant à des collaborations inattendues comme celle, récente, avec l’Ircam pour le spectacle Le Périmètre de Denver.   

« Je trouve que c’est bien qu’une ou un artiste touche à tout, dit Vimala Pons sur un ton un brin songeur. Mais l’artiste doit aussi et surtout ne pas perdre de vue son art originel : les autres disciplines peuvent évidemment lui servir, on peut transposer la technicité d’un art à un autre, l’adapter à sa pratique. Moi, par exemple, j’écris de la musique, pour mes spectacles par exemple, mais je ne me considère pas musicienne. Ma formation d’origine est celle d’une actrice, et je pense que faire l’acteur, c’est un peu comme faire le mixage en musique, ou, à la limite, comme diriger un orchestre : le rôle de l’acteur est de jouer sur les variations d’intensité, on donne sa juste place aux émotions. »

Si Vimala Pons ne se considère pas musicienne, elle nait dans une famille intensément mélomane et suit une formation musicale dès sa plus tendre enfance : « Mes parents avaient une énorme discothèque, classée par ordre alphabétique, avec plusieurs versions pour certaines œuvres. » Une variété esthétique et interprétative qui permet à la jeune fille qu’elle est alors de développer une passion pour ce répertoire. Lequel répertoire l’accompagne dans ses premiers pas dans la musique — au piano d’abord, rapidement abandonné, puis à la guitare classique.
Plus tard, élève du Centre National des Arts du Cirque de Châlons-en-Champagne, elle s’amourache en autodidacte de la clarinette : « L’école proposait un cours de musique : surtout des musiques de fanfare, du jazz manouche, de la musique tzigane et du Klezmer. Moi qui rêvais depuis toujours de faire des soufflants, c’était l’occasion. »

Malgré ses multiples activités, Vimala Pons fait encore aujourd’hui beaucoup de musique et tient à garder une pratique instrumentale — ces derniers temps, plutôt sur un synthétiseur Roland JX-08. Le reste du temps, elle en écoute. Beaucoup. Et des genres pour le moins disparates : « Je garde une passion très précise pour la musique classique, mais j’écoute plein de genres musicaux différents. J’aime par exemple beaucoup la techno minimaliste, et l’ambient japonaise — Hiroshi Yoshimura, Yishio Ojima et quelques autres. Cela m’aide à me calmer. Hiroshi Yoshimura racontait que le plus beau compliment qu’il ait jamais reçu lui est venu de l’ingénieur du son qui avait mixé son album Green : il lui avait dit s’être endormi en plein mix ! Ce que fait Hiroshi Yoshimura est en effet très méditatif, assez fragile, presque pauvre musicalement. Mais c’est plus que de la musique : c’est presque une thérapie, entre la thalasso et le somnifère. On n’écoute pas cela pour écouter de la musique, mais pour se mettre dans un certain état d’esprit, et cela m’a beaucoup aidé dans la vie. »

La musique occupe également une place centrale dans son processus créatif : « J’écris en musique », avoue-t-elle sans ambages et, on l’a dit, elle compose elle-même la musique des spectacles qu’elle imagine, seule, en duo ou en collectif. Certaines de ses compositions ont même fait l’objet d’une sortie discographique : l’album Victoire Chose (Murailles Music et Teenage Menopause Records), en duo avec Tsirihaka Harrivel (plus Olivier Demeaux), est ainsi né du spectacle GRANDE, qu’elle crée et joue avec Tsirihaka Harrivel en 2016, de même qu’Eusapia Klane (WARRIORECORDS) est un produit dérivé de son dernier spectacle en solo, intitulé Le Périmètre de Denver créé en 2022. Son livre audio Mémoires de l’Homme fente est également illustré d’une bande sonore au moins aussi piquante et délirante que son histoire.

Parmi ses sources d’inspiration, elle cite volontiers Laurie Anderson ou l’allemand Robert Görl, mais aussi les musiques de film de Michael Nyman ou Angelo Badalamenti, dont elle apprécie les tapis sonores. Mais elle peut aussi emprunter à des œuvres classiques, (re)vues ou non au travers d’un prisme pop. L’écriture du Périmètre de Denver (photo ci-dessous) a commencé par celle de la musique : « Dans cette création, raconte-elle, tout est parti des objets — ces objets que je porte sur la tête : une pierre, une malle, une voiture. L’idée du spectacle est née avant la Covid, qui a évidemment tout interrompu. Comme tout le monde, je suis partie m’enfermer et comme je n’arrivais pas à écrire le spectacle, j’ai écrit la musique en premier. Par exemple, cette voiture dont je parlais à l’instant et que je porte sur la tête, je n’arrivais pas à la construire. Et je me suis surprise à écrire une chanson sur une femme qui prend soin de sa voiture. Presque trop. En sachant pertinemment qu’elle ne la mènera jamais nulle part. C’est ainsi que j’ai composé de la musique pour ces objets, comme si c’étaient des personnages d’opéra ayant chacun son thème. Et cela a porté toute l’écriture du spectacle. »


Ainsi est née une première maquette son. « C’est une manière de planter le décor, un décor sonore, qui accueillera ensuite le texte. Marguerite Duras disait : « Le cinéma, c’est le son ». C’est la même chose pour ce spectacle. Et puis Kurosawa disait aussi, je crois, que la musique de film est une musique à laquelle il manque toujours quelque chose. Cette maquette m’a aidé à trouver une musicalité de la langue et à inscrire mes chorégraphies. » 
Dans un premier temps, Vimala Pons n’imagine pas l’utiliser telle quelle. Elle change d’avis suite à une conversation avec Anaëlle Marsollier, qui l’accompagne dans la création sonore du spectacle : « Elle m’a fait remarquer que cette musique, aussi fragile soit-elle, avait quelque chose de très touchant, parfois par sa maladresse même. On l’a gardée. »

Autre aspect de l’écriture sonore que Vimala Pons explore dans le spectacle : les masques vocaux. Incarnant tour à tour les sept témoins/suspects, d’âge et de corpulence variés, la comédienne a voulu pour chacun une identité vocale forte. « Je travaille avec des prothèses de visage — de celles que portent les cascadeurs de cinéma ou les braqueurs de banque — adaptées à mes besoins. Le résultat est visuellement assez bluffant. Je voulais faire un travail équivalent sur ma voix, notamment sur les pitchs (registres), et je voulais que le résultat paraisse naturel et crédible. »
Ce travail l’amènera dans un studio de l’Ircam. Une expérience assez inattendue, même pour elle qui en est friande — l’Ircam restant pour elle « associée à la figure de Boulez : une société secrète du son, nimbée de mystères. »

Qui sait ce que ses prochains spectacles et laboratoires sonores garderont de ce passage ?

Propos recueillis par Jérémie Szpirglas

Photos (de haut en bas ) : DR / DR / © Makoto Chill Okubo