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« Un seul et même organisme vivant ». Entretien avec Bastien David, compositeur.

Entretien Par Jéremie Szpirglas, le 31/01/2023

Le 7 février à la Maison de la Radio, pour l’ouverture du festival Présences, l’EIC, la maîtrise de Radio France et la Compagnie Les Insectes joindront leurs forces musicales pour la création de Chlorophyll Synthesis de Bastien David. Rencontre avec un jeune compositeur en prise avec les  grandes questions écologiques d’aujourd’hui.   


Bastien, il y a de cela quelques mois, alors que vous n’en étiez qu’aux premières esquisses de ce qui deviendra Chlorophyll Synthesis, vous nous disiez que cette nouvelle pièce ouvrirait un vaste cycle dont faisait d’ores et déjà partie Urban Song (créée en 2020 par l’EIC sous la direction de Pierre Bleuse). Qu’en est-il aujourd’hui, alors que la pièce est terminée ?
Urban Song est finalement le prélude de ce vaste cycle dont vous parlez. La pièce est une expression de ma réaction face à l’attitude prédatrice de notre civilisation envers le monde vivant. Second mouvement du cycle, Chlorophyll Synthesis propose à l’inverse un changement radical et volontaire de paradigme ; une manière différente d’exister, audacieusement poétique et infiniment sensible, où la complicité humaine et non-humaine deviendrait fondatrice d’un imaginaire, celui d’un monde autre que nous pourrions composer avec et pour les générations futures. C’est le rapport au vivant qui m’a intéressé ici, ainsi que la place de l’individu au sein du collectif et la relation du collectif à l’individu, de sorte que les 80 musiciens réunis respirent ensemble.

Sous quelle forme se présentera ce cycle ?
Rien n’est encore certain aujourd’hui. Prendre du temps m’aide à faire apparaître les cohérences et les nécessités dans les choix à venir. J’aime penser dans le temps. Ce qui est sûr, c’est que le cycle n’est pas terminé. Urban Song et Chlorophyll Synthesis s’entremêleront. Avec une troisième pièce, elles formeront sans doute le premier chapitre de ce vaste cycle. J’imagine cette œuvre conséquence de manière subdivisée pour pouvoir prendre soin de chaque instant de la partition.

Chlorophyll Synthesis est composée pour maîtrise, Métallophone et ensemble. Le métallophone est un instrument de votre invention : pourriez-vous le décrire et nous raconter comment vous l’avez imaginé ?
Le Métallophone se présente sous la forme d’un grand clavier de 216 lames d’acier martelées, accordées en douzième de ton. Ce projet, sa conception, sa fabrication, ainsi que la compagnie Les Insectes, qui est dédiée à ce nouvel instrument, m’habitent depuis plus de dix ans — c’est en faisant preuve de patience et en multipliant les questionnements que j’ai cherché à faire apparaître sa cohérence plastique et sonore.
Le Métallophone est né d’une envie d’entendre de nouvelles sonorités. C’est la raison pour laquelle je me suis concentré sur l’acier et sa résonance. Ensuite, l’instrument lui-même a été le lieu d’une réflexion à la fois poétique et politique. Étant donnée sa taille (15 mètres de circonférence), son jeu doit être collectif — à l’image de notre monde si vaste, au sein duquel nous devons tous trouver notre place. Cette dimension du « partage » a, à mon avis, un peu disparu à notre époque, et je voulais au contraire créer un instrument qui le favoriserait, par le regard et l’écoute.


En construisant mes lames, j’ai constaté que, pour nourrir cet échange entre les musiciens, il me fallait arrondir l’instrument. De même qu’une table circulaire est plus conviviale qu’une rectangulaire, le Métallophone est un grand arc de cercle, qui permet aux musiciens de jouer ensemble sans jamais se tourner le dos, et de toujours se voir.
Enfin, son univers sonore s’appuie sur l’observation du minuscule : celui de la micronotalité. Regarder avec attention et intensité une chose, aussi petite soit-elle, revient à lui donner toute l’importance qu’elle mérite et la faire grandir.

Comment articulez-vous ici dans l’écriture Métallophone, maitrise et ensemble ?
« Symbiose et syntropie d’un chœur d’enfants dont chacune et chacun est soliste mais jamais solitaire, technologie nouvelle et primitive du Métallophone et ses six fois dix doigts, organicité communicative de l’ensemble instrumental : ces trois entités sont comme trois organes, eux-mêmes composés de tant de corps en dépendance, en fonctionnement, en vie. » Voici les mots du musicologue Léonard Pauly au sujet de l’organisation des énergies dans Chlorophyll synthesis, après une longue conversation et sans lecture de partition. Les mots de Léonard font résonner en moi les heures passées à composer pour que ces 80 musiciens deviennent un seul et même organisme vivant.

Urban Song de Bastien David 

Photos (de haut en bas) : © Amandine Lauriol / © Rebecca Lena