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« L’expérience de la musique ne se fait pas seulement avec les oreilles ». Entretien avec Clara Iannotta, compositrice.

Entretien Par Michèle Tosi, le 31/05/2022

Echo from afar, la nouvelle œuvre pour harpe, trio à cordes et électronique, de Clara Iannotta sera créée, le 10 juin prochain à la Philharmonie de Paris dans le cadre du festival ManiFeste de l’Ircam.  Entretien avec une compositrice pour laquelle la musique est une expérience aussi sonore que visuelle.

Clara, qu’est-ce qui a motivé le choix de la formation instrumentale dans votre nouvelle œuvre, Echo from afar ?
L’EIC m’avait déjà proposé un projet de ce type où il devait y avoir un glass-harmonica mais, pour des raisons de santé, je n’ai pas pu honorer la commande. L’année suivante, lorsque j’ai été recontactée, on m’a demandé d’écrire une pièce pour harpe et trio à cordes. Or je n’avais jamais encore utilisé la harpe en soliste ; et ce fut un véritable défi que je me suis lancée, en essayant d’intégrer l’instrument à mon langage ; cela n’a d’ailleurs pas été si facile !

Vous ajoutez cependant une partie électronique : quelle place et quelle fonction a-t-elle dans l’écriture ? 
L’idée de la pièce est la suivante : je voulais tenter « d’écrire l’espace », de l’appréhender en tant que matériel de composition ; en provoquant, au sein des quatre instruments acoustiques, des « effets larsen » qui vont voyager dans l’espace grâce à l’électronique ; ou inversement : ce sont les instruments qui vont engendrer la résonance, et l’électronique qui va en démultiplier les espaces pour susciter les phénomènes de feedback. En résumé, je dirais que l’écho n’est pas produit par le seul objet sonore mais aussi par les espaces dans lesquels il se meut. D’où l’importance de cette partie électronique, générée le plus souvent en temps réel.

Vos œuvres font souvent appel à de nombreux accessoires confiés aux instrumentistes, objets ajoutés à la lutherie traditionnelle, comme dans Après que l’EIC vient de donner à San Sebastián ; est-ce le cas dans cette nouvelle œuvre commandée par l’EIC ?
 Il y a de la préparation mais pas d’accessoires. Je n’en utilise que quand les instruments ne sont pas en mesure de produire le son que je recherche. Ici, l’accord de la harpe est modifié et certaines cordes sont préparées, avec des pinces ou autres petits objets qui en modifient la sonorité. Le trio à cordes est également en scordatura et le violon et l’alto ont chacun une corde préparée.



Je dois avouer que j’ai beaucoup de difficulté à écrire pour un si petit effectif, parce que ma pensée du son fonctionne sur un certain nombre de niveaux et que j’ai besoin d’une source sonore suffisamment riche pour la faire émerger. L’électronique va y pourvoir dans une certaine mesure.

 


Parlez-nous du choix de votre titre,
Echo from afar.
Depuis 2014, tous mes titres proviennent des mots d’une poétesse irlandaise Dorothy Molloy (1942-2004). Elle était atteinte d’un cancer et tous ses poèmes ont un rapport avec la distance, la destruction du corps et la mort. Ma musique est quelque part un hommage à ses mots. L’idée d’écho m’a orientée vers une certaine pensée de l’espace et du feedback – qui est une boucle de rétroaction -, un désir de capter la trace du son dans l’espace.

Vous êtes co-directrice du festival de musique contemporaine Klangspuren. Vous souhaitez, dites-vous, proposer à vos publics des programmes « qui élargissent le spectre de la nouvelle musique ». Comment cette idée va-t-elle se concrétiser ? 
Je dois préciser que je m’occupe également depuis neuf ans du festival de musique contemporaine Bludenzer Tage. J’ai accepté cette année la co-direction de Klangspuren avec mon collègue autrichien Christof Dienz qui est aussi compositeur. Sa musique est assez différente de la mienne, regardant davantage vers la pop et les musiques improvisées. Et plutôt que de sélectionner l’une ou l’autre des esthétiques, nous avons souhaité au contraire les embrasser toutes : en offrant une programmation aussi diversifiée qu’inclusive et en invitant certains jeunes talents que j’ai eu l’occasion de remarquer lors de mes masterclasses, une nouvelle génération qui se situe à la croisée des arts, sonore et visuel, qui explore de nouveaux territoires et dont on a parfois peine à définir la production sonore !

Quant à vous, Clara, quel est votre rapport à l’image et avez-vous souvent recours au support visuel ? 
Pour moi, la musique est toujours visuelle et je pense que l’expérience du sonore ne se fait pas seulement avec les oreilles. J’ai travaillé avec des personnes qui venaient de subir de graves opérations et qui ne pouvaient plus bouger la langue. Leur façon de communiquer restait la même mais le son qu’ils émettaient n’était plus audible à l’oreille ; j’ai dû ainsi changer ma façon d’écouter et faire l’expérience d’une écoute physique en regardant comment le son bougeait sur leurs lèvres. Cela m’a beaucoup inspiré en tant que compositrice et je me suis demandée comment je pouvais retrouver cette sensation dans ma musique. Le son, c’est de l’air qui vibre et qui peut générer son image ; et même si j’écris de la musique purement acoustique, ce que je demande aujourd’hui à mon public, c’est d’ouvrir les yeux et pas seulement les oreilles.

Photos (de haut en bas) : DR / © EIC