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« Mues » de Kevin Juillerat.

Éclairage Par Valeria Kafelnikov, le 25/05/2022

 

Le 10 juin à la Philharmonie de Paris, Valeria Kafelnikov sera la soliste de Mues, une surprenante création pour harpe « augmentée » du jeune compositeur suisse Kevin Juillerat. Explications de la harpiste sur la forme et les particularités de cette nouvelle œuvre qui sera créée dans le cadre du festival ManiFeste de l’Ircam.   

Mues de Kevin Juillerat est une nouvelle œuvre pour harpe et électronique, pensée pour un dispositif de « harpe augmentée ». Les sons électroniques sont diffusés en salle, non pas au moyen de haut-parleurs, mais directement au travers de la harpe (grâce à des transducteurs fixés sur la table d’harmonie ; illustration ci-dessous). Ainsi le corps de l’instrument devient un lieu de dialogue, et même de joute, entre deux expressions : l’une instrumentale, l’autre exogène, qui vient envahir et annihiler la première.
Pendant la période d’élaboration de la pièce, Kevin Juillerat et João Svidzinsky, son réalisateur en informatique musicale Ircam (RIM), m’ont demandé d’enregistrer en studio des esquisses à partir desquelles ils ont fabriqué la partie électronique. Tel un écho onirique, une image de la musique pour harpe semble ainsi apparaître dans la pièce, puis se transformer en une créature effrayante dont la puissance dépasse largement le corps sonore qui l’a engendrée.


La forme cyclique de la pièce fait entendre de manière récurrente une même proposition musicale, qui aboutit à chaque nouvelle tentative à la saturation. C’est cette idée d’un développement toujours recommencé, telle une mue animale, qu’évoque le titre de la pièce.
La musique a un caractère sombre. C’est un lamento grave et doux, fait de plaintes et de soupirs (sons glissés de toutes sortes, presque des portamento, trop rarement confiés à la harpe). Le discours est ponctué de sons inharmoniques de harpe préparée. À la fin de la pièce, on entend même des sons de viole de gambe (obtenus grâce à un jeu à l’archet) qui viennent compléter cette grammaire sonore, au fond assez impropre à un instrument à cordes pincées. C’est finalement une vraie vocalité qui se déploie dans cette œuvre instrumentale.

 

Propos recueillis par Jérémie Szpirglas

Photos (de haute en bas) : © Franck Ferville / © EIC