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Le Quintette en sol mineur de Sergueï Prokofiev.

Éclairage Par Nicolas Southon, le 07/04/2022

Si ce n’est pas l’œuvre la plus connue de Sergueï Prokofiev elle n’en est pas moins l’une des plus originales et modernes. Le musicologue Nicolas Southon revient sur l’origine et tout ce qui fait la singularité du Quintette en sol mineur qui sera joué dimanche prochain à la Philharmonie de Paris.

Chef-d’œuvre de raffinement et d’ironie, fruit d’une alchimie polyphonique savamment dosée, le Quintette en sol mineur est l’une des plus importantes partitions de chambre de Prokofiev. Installé à Paris avec son épouse depuis quelques semaines, le compositeur reçoit la commande en février 1924 d’une musique de ballet. C’est Boris Romanov qui le sollicite, un ancien danseur du Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg, qui avait collaboré aussi comme chorégraphe avec les Ballets russes de Diaghilev. Romanov vient de fonder le Théâtre romantique russe, compagnie dont l’ambition (comme son nom ne l’indique pas) est de promouvoir la modernité artistique de son pays. Prokofiev travaille alors à sa Deuxième Symphonie, mais en quête de revenus, il accepte la commande. Il s’agit d’écrire la partition du ballet Trapetsiya (« Trapèze »), une évocation de l’univers du cirque. Romanov lui accorde cinq musiciens et réclame six brefs tableaux. Dès le début de son travail, Prokofiev envisage sa partition comme une œuvre jouable en concert, pour rentabiliser la commande. Il choisit un effectif assez inhabituel mais à la sonorité classique, et compose une musique n’ayant rien de descriptif, en dépit du sujet du ballet. Dans l’été 1925, Romanov réclame deux morceaux supplémentaires : Prokofiev livre une ouverture et une Matelote, mais il ne les inclut pas à la version de concert de sa partition. Le ballet Trapetsiya est créé à l’automne 1925 à Gotha, en Allemagne, puis voyage à Hanovre et Turin – avant la banqueroute de la compagnie de Romanov l’année suivante. En concert, la partition chambriste est donnée à Moscou le 6 mars 1927, et sa première en France a lieu à Paris le 16 février 1934, au Triton, société de musique de chambre fondée par le compositeur Pierre-Octave Ferroud.

Ce Quintette, l’une des partitions les plus dissonantes de Prokofiev, présente l’exemple rare chez lui d’une influence parisienne. Ses mélodies badines et ses harmonies acides, chromatiques et parfois polytonales, rappellent les expérimentations du Groupe des Six et de Ravel à cette époque. Le choix de l’effectif rejoint en outre le Stravinski de L’Histoire du soldat (1918) et de l’Octuor à vents (1923). On remarquera en particulier dans les six mouvements : la richesse mélodique du « thème et variations » initial ; la danse grotesque de l’Andante energico ; le rythme complexe du troisième mouvement (que la partition présente dans une seconde rédaction « simplificato ») ; le mouvement perpétuel intentionnellement monotone de l’Adagio pesante ; le rondo agressif de l’Allegro precipitato ; la complexité formelle du dernier mouvement, entre rythmes de danses et gestes théâtraux.

 

Photo : Sergeï Prokofiev, 1918 © GL Archive / Alamy Stock Photo