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« La flûte est pour moi l’instrument du souvenir ». Entretien avec Irini Amargianaki, compositrice.

Entretien Par Suzanne Gervais, le 26/04/2022

Le 11 mai prochain, à la Cité de la musique, Irini Amargianaki présentera sa toute nouvelle œuvre pour trois flûtes et ensemble intitulée N 37° 58′ 21.108 E 23° 43′ 23.27 Athens. Un titre aussi complexe qu’énigmatique qui demandait bien quelques explications de la jeune compositrice grecque.

 

Irini, vous avez grandi en Grèce, vous vivez à Berlin et vous composez pour un ensemble français : votre parcours est résolument européen !
J’ai grandi en Crète, dans une famille bercée par la musique. Mon père est ethnomusicologue, spécialiste de la musique byzantine et des musiques folkloriques grecques. Il dirigeait une chorale qui chantait la musique ancienne de Byzance, et j’ai encore certaines mélodies dans la tête… Cet environnement musical a façonné mon imaginaire. Quant à moi, j’ai commencé la musique avec l’accordéon. Lorsque nous avons déménagé à Athènes, j’ai étudié le contrepoint et l’harmonie au conservatoire. En Grèce, il faut compter six à neuf ans d’études théoriques avant de réellement se lancer dans l’étude de la composition. C’est très long ! Pourtant, à 17 ans, j’ai su que je serai compositrice. J’ai poussé mes études de composition plus loin à Berlin, où je vis depuis quinze ans. J’aime l’esprit profondément multiculturel de cette ville : tous les styles sont permis. Sa dimension underground me fait penser à Athènes et Paris.

Où trouvez-vous l’inspiration ?
Elle peut être absolument partout, même dans les motifs d’un tapis… Je la puise d’abord dans la musique elle-même. En tant qu’auditrice, j’aime des compositeurs très différents les uns des autres : Gesualdo, Josquin des Prés, Brahms, Ravel, Ligeti, Varèse… Je m’inspire aussi beaucoup des interprètes eux-mêmes. De belles idées naissent en travaillant avec les musiciens, en observant leurs gestes. Et puis, outre la musique, la littérature et mes lectures sont essentielles, qu’il s’agisse de poésie ou d’essais, plus arides, de sociologie. Lorsque j’étais étudiante à Athènes, j’ai suivi des cours d’histoire du théâtre. Tenez, prenons un poème : il est fascinant d’en transcrire le rythme, la petite musique… J’utilise volontiers l’énergie de leur prosodie dans mes compositions. L’inspiration n’est pas pour moi un objet extérieur, qui vous tombe dessus, c’est un état d’esprit, une attitude, à la fois active et contemplative.

 

Comment est née cette pièce, N 37° 58′ 21.108 E 23° 43′ 23.27 Athens ?
Je l’ai conçue comme le point de départ d’un vrai journal musical. Une sorte de carnet de bord. Le titre – difficile à mémoriser, je l’avoue ! – reprend les coordonnées GPS d’un quartier d’Athènes. C’est un point géographique bien précis qui évoque une mémoire vive, point de départ de plusieurs souvenirs. Car le souvenir, le flux et le reflux de la mémoire, est un sujet qui m’inspire énormément. 

 

Justement, comment avez-vous conçu cette pièce ?
Imaginez des poupées russes : cette image est vraiment, pour moi, le symbole de la relation aux souvenirs. Elle évoque les différents états de l’être, façonné par le temps qui passe. La pièce dure une quinzaine de minutes. Les trois flûtes, mais aussi le cor et le piano occupent une place de premier plan. Les percussions jouent un rôle de trait d’union entre les différents éléments de l’ensemble. Le rôle de chacun des instruments est de contribuer au processus de réminiscence et d’anamnèse : au début, les souvenirs arrivent par bribes, fugaces, fanés mais, au fur et à mesure que la musique prend son essor, ils deviennent des entités plus complètes, plus concrètes, plus organiques. Ces images composent la structure de ma pièce.
Vos trois dernières pièces sont écrites pour la flûte, qui, ici encore, a un rôle triplement soliste : pourquoi ?
C’est un instrument qui m’est cher et proche à la fois : la flûte est très populaire dans la musique traditionnelle grecque et, de manière générale, la musique méditerranéenne. Dans mon cas, c’est un petit peu l’instrument du souvenir. Les musiques traditionnelles de Méditerranée me touchent beaucoup : j’ai étudié le oud et la musique arabe avec un professeur syrien, à Berlin. Il y a beaucoup de similitudes avec la musique grecque.

Photos (portraits) © Sebastian Kiener / photo de répétition © EIC