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« Andrée Chedid nous invite à l’espérance ». Entretien avec Éric Montalbetti, compositeur.

Entretien Par Michèle Tosi, le 04/05/2022


L
e 11 mai prochain à la Cité de la musique, Éric Montalbetti présentera sa nouvelle création, Cavernes & Soleils, directement inspirée par le poème éponyme d’Andrée Chedid. Le compositeur revient sur l’origine de cette œuvre pour mezzo-soprano et orchestre de chambre et partage avec nous son amour de la poésie.

 Éric, qu’est-ce qui a motivé votre choix littéraire pour cette nouvelle œuvre vocale, Cavernes & Soleils, que vous a commandée l’EIC ?
Je suis depuis toujours un fervent lecteur de poésie, et il m’arrive souvent de rêver d’en produire quelques mélodies, comme je le pratiquais volontiers à l’adolescence. Mais j’y renonce bien souvent après un premier élan, peut-être par crainte que le genre ne me permette pas d’y être tout à fait moi-même, et la plupart de mes compositions récentes, à l’exception de quelques pièces de musique sacrée, sont restées purement instrumentales – sûrement nourries par mes lectures, mais dans un rapport plus indirect.

Mais ces poèmes d’Andrée Chedid ont produit tellement de résonnances en moi que, cette fois, il m’a été nécessaire d’essayer d’en composer comme un prolongement. Ce qui m’a le plus touché est que chaque poème passe par mille climats différents, et en même temps les rassemble et les réconcilie, ouvrant sur une perspective profondément lumineuse.
Le premier, qui donne son titre au recueil, exprime si bien toute la complexité et la richesse de l’être, que ce soit dans ses hauts ou ses bas. Et les poèmes « Visage I » et « Visage II », tout habités par l’émoi de l’autrice devant le visage humain (« toujours composé de la même manière mais qui prend toutes les formes, toutes les possibilités, cette richesse !» comme elle le confiait dans une belle émission avec Laure Adler), nous invitent à l’espérance avec une profonde humanité.

La mise en musique d’un texte soulève toujours une somme de réflexions techniques, esthétiques… Comment avez-vous envisagé le rapport texte-musique dans votre partition ?
La correspondance qu’il m’a semblé le plus important de trouver entre musique et texte est celle de la forme.
 Andrée Chedid (photo ci-contre) a si parfaitement construit ses poèmes, dans son constant désir de réconcilier les contraires, « toutes ces oppositions qui doivent s’allier pour que nous existions, pour nous aider à traverser (la vie) ». Ses poèmes offrent comme une forme de résolution aux harmonies complexes de nos vies, une réponse à la quête de sens qui nous anime, suivant un thème qui m’est cher et qui nourrissait déjà par exemple mon quatuor à cordes « Harmonieuses Dissonances ».
Ceci dit, je n’ai pas cherché à transcrire « note à mot » le parcours dessiné par les poèmes. Au contraire, j’ai en quelque sorte essayé d’en composer comme la résultante – à travers une grande forme, un triptyque de près de vingt-cinq minutes. La voix y chante les poèmes sous une forme essentiellement syllabique, même si je l’ai parfois augmentée de quelques vocalises, en respectant donc autant que possible le texte si pur des poèmes. Pour autant, même si je sais avoir la joie d’une interprète à la diction merveilleuse, je ne me suis pas excessivement soucié de l’intelligibilité du texte. Ce qui compte pour moi est que le choix du matériau harmonique, comme des alliages de timbres et des inflexions mélodiques, soit en adéquation avec le texte.

Le choix du sous-titre, Concertino pour mezzo-soprano et orchestre de chambre, suscite également des interrogations. Est-ce à dire que la voix entretient la même relation à l’orchestre que la flûte soliste dans votre récent concerto « Memento vivere » ?
C’est en effet après avoir composé Memento vivere pour Emmanuel Pahud (que je suis bien heureux de retrouver aussi dans ce programme !) que j’ai ressenti le désir d’écrire pour la voix dans un rapport semblable à celui du concerto, associant le soliste et l’orchestre dans un même souffle, se nourrissant l’un l’autre. L’idée est que l’ensemble ne soit pas qu’un merveilleux écrin plein d’attention pour la voix, ou bien un corps étranger qui s’oppose à la soliste, mais qu’il se laisse porter dans un même élan et prolonge la partie vocale dans sa propre écriture – et que la voix ne cherche pas à dominer l’orchestre mais bien au contraire à s’y inscrire toujours plus profondément.


Vous avouez être lent dans votre travail à la table. Comment s’est déroulé le processus de l’écriture dans ce concertino ?
Quand je parle de lenteur, je veux parler du temps nécessaire à ce processus de sédimentation sans lequel la composition ne me paraît pas possible. Il peut m’arriver de « trouver » quelque chose assez spontanément. Mais pour moi, les esquisses restent toujours insuffisantes, et l’œuvre n’advient réellement qu’au prix d’un constant aller-retour entre le travail et l’intuition. C’est progressivement que se distingue le choix de chaque harmonie, de chaque timbre, des processus de prolifération ou non du matériau, aussi bien que le rythme juste et l’exactitude de la forme recherchée.
 Pour Cavernes  & Soleils, parallèlement au travail de tout le plan que je m’étais donné, j’ai multiplié les improvisations de la partie vocale, jusqu’à ce que le projet et l’intuition se rejoignent, et me permettent alors de véritablement composer ma partition.

S’agissant de votre musique et de l’élan qui vous anime, vous parlez d’une aspiration vers l’abstraction. Comment opère-t-elle lorsque vous travaillez avec un texte ?
Je ne crois pas que l’abstraction soit déconnectée de l’expression, c’est au contraire pour moi la forme véritablement sublimée de l’expression.
 En ce sens, travailler sur un texte nécessite bien un effort d’abstraction pour ne pas s’arrêter au sens premier du texte (qui nous inviterait à une traduction trop littérale), mais pour en atteindre le sens profond – ce qui permet d’envisager la composition comme une œuvre en soi, certes parallèle, nourrie par le texte, mais au-delà d’une simple transcription.   

Vos trois œuvres chorales exceptées, peu de partitions pour voix figurent encore à votre catalogue. Est-ce un domaine que vous souhaiteriez explorer plus avant dans les années à venir ?
Les prochaines années seront consacrées à de nouveaux projets instrumentaux, à commencer par une rapsodie pour clarinette et cordes pour Pierre Génisson et une œuvre concertante pour le violoncelliste Truls Mørk, mais oui, j’ai l’idée de deux autres cycles avec voix, l’un pour soprano et orchestre, l’autre pour baryton et ensemble, et puis j’espère beaucoup pouvoir accomplir un ensemble de « Fragments pour une Messe » pour solistes, chœur et orchestre : advienne que pourra !

 

Photos (de haut en bas) :  © Amandine Lauriol / DR/ © EIC