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De Profundis de Sofia Gubaidulina.

Éclairage Par Vincent Gailly, le 16/03/2022

 

« Un monstre qui respire ». C’est ainsi que Sofia Gubaidulina définit le bayan, un accordéon chromatique apparu dans le monde slave dans les années 1850, que la compositrice russe utilise dans De Profundis. Une œuvre composée en 1978 qu’interprétera l’accordéoniste Vincent Gailly le vendredi 18 mars à la Cité de la musique. Explications du musicien qui nourrit une insatiable curiosité pour le répertoire contemporain de l’accordéon.    

« Savez-vous pourquoi j’aime tant ce monstre ? Parce qu’il respire. » Ce monstre, comme Sofia Gubaidulina le surnomme, c’est le bayan. Un accordéon à boutons, apparu au vingtième siècle, largement représenté dans le folklore russe. La compositrice écrit sa première œuvre pour cet instrument en 1978 : De profundis, un chant des profondeurs.
Au regard du répertoire pour accordéon, qui connait un essor à partir de la fin du vingtième siècle, De profundis est une œuvre déjà relativement ancienne, et emblématique d’une époque. L’accordéoniste qui en a assuré la création rapporte que Sofia Gubaidulina lui a demandé, en amont de la composition, de lui montrer avec une infinie minutie tout le potentiel expressif de son instrument.


Pour être moi-même régulièrement amené à présenter mon accordéon et ses possibilités à la jeune génération de compositeurs au Conservatoire de Paris, je sais combien cette démarche est subjective et détermine à elle seule l’allure des pièces. Le créateur de De profundis dira d’ailleurs que c’est à sa demande que Gubaidulina a intégré le glissando chromatique à son œuvre — une première fois selon lui dans la littérature musicale russe, devenue aujourd’hui un véritable poncif du répertoire.
Pour m’approprier cette œuvre, il m’a donc fallu comprendre la tradition interprétative héritée des pionniers de cette époque et m’en défaire. Partant du texte musical, qui alterne entre une notation très libre, presque graphique, et une écriture plus rigoureuse, j’ai cherché un espace pour construire mon interprétation et proposer une lecture personnelle. J’aime cette œuvre pour sa puissante charge émotive, son énergie tellurique, ses silences sépulcraux, ses textures riches, ses chants d’oiseaux, sa lenteur de progression. C’est dans cet esprit que j’ai demandé à sonoriser la performance, afin de déployer encore un peu plus la palette dynamique dont la pièce a besoin.
Programmée de longue date, cette œuvre résonne aujourd’hui de façon particulière au vu de l’actualité. Le compositeur finlandais Kalevi Aho parle de l’esthétique de la compositrice russe comme d’une expression d’un « idéal utopique de paix éternelle, de transfiguration et de lumière ». Pour ma part, il me semble nécessaire de défendre ce patrimoine et le faire vivre, aujourd’hui plus que jamais.

Propos recueillis par Jérémie Szpirglas


Photos (de haut en bas) : © Benoit Hechtermans /© Anne-Elise Grosbois / Sofia Gubaidulina, années 1970 -DR