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Les saveurs cachées du son. Entretien avec Marco Momi, compositeur.

Entretien Par Laurent Vilarem, le 17/06/2020

Connaissez-vous l’umami ? Découvert il y a plus d’un siècle au Japon, ce goût est l’une des cinq saveurs de base détectée par la langue. Pour sa nouvelle œuvre qui devait être créée dans le cadre du festival ManiFeste , en juin et finalement reportée en septembre, le compositeur italien Marco Momi s’inspire de ce « goût savoureux », afin de créer des textures recherchées entre ensemble instrumental et électronique.

L’umami, c’est ce goût qui éclate en bouche lorsqu’on croque une tomate bien mûre par exemple. Dans votre pièce Umami, invitez-vous l’auditeur à une expérience culinaire ? Le concept d’umami est bien sûr utilisé ici comme une métaphore. Il ne s’agit pas d’une recherche purement technologique mais davantage d’une quête sur le rayonnement du son, par le biais de mélanges de textures. Ce qui m’intéresse dans la notion d’umami, c’est cette idée de saveur cachée qui dépasse les notions de de salé, de sucré, d’amer ou d’acide. Il s’agit plutôt d’une sensation fantôme, comme un arrière-goût qui donne consistance à ce qu’on va manger. Ma pièce ne porte certes pas sur le goût culinaire mais la recherche de l’umami exige une posture perceptive qui m’est chère, celle du « ressenti ultérieur », c’est-à-dire un ressenti plus profond, qui va au-delà du seuil habituel de nos perceptions.

Concrètement, quelles textures créez-vous ?

Mes textures sont très variables selon l’instrumentation de chaque pièce. J’aime redéfinir chaque fois ma façon de modeler la matière en fonction de sa nature. Je fais partie de ces compositeurs qui réfléchissent à un prototype, qu’ils découvrent au même moment que le public. D’une manière générale, je pourrais décrire mes textures comme un flux de points reliés par de nombreuses connexions possibles. Je me concentre essentiellement sur la signification que chaque son peut avoir en lui-même, et dont j’estime qu’il est possible de percevoir l’« élan ».

Quelle attitude requérez-vous de votre auditeur ?

Toutes et aucune à la fois. Je ne cherche pas à étreindre ou à séduire l’auditeur. Je ne veux pas l’amener à moi. Mon son est un « témoignage » d’affectivité qui ne demande rien. Il habite dans un espace à l’intérieur duquel je peux activer des dynamiques de valorisation. J’aime l’idée de « scénarisation » de l’écoute. Mon travail consiste à lire entre les sons, à leur offrir des parcours d’existence. Mais j’insiste sur le fait qu’il s’agit d’un voyage de découverte très intime, qui n’a pas besoin d’être démontré ni expliqué. Seule prime l’expérience de l’écoute.

Est-ce en raison de ce parcours intime que vous réalisez vous-même votre électronique ?

Oui, la plupart du temps je dois absolument être celui qui produit, place et édite tous les sons et fréquences que j’utilise. J’ai eu la chance d’être formé à l’Ircam et d’y travailler régulièrement ; dans mon cas, le réalisateur en informatique musicale m’aide essentiellement du point de vue technique, ou me permet d’avoir un regard extérieur pour m’aider à prendre du recul. Il me faut connaître un son avant de pouvoir l’utiliser, mais pour cela, je dois le toucher et établir un rapport charnel avec lui. Cette connaissance demande du temps et un contact permanent avec le son et les instruments. Dans Umami, j’évoque une expérience somme toute assez rare : celle, sensible et puissante, qui permet d’acquérir un goût personnel.

 

Photo © MaurizioRellini