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Passions musicales. Entretien avec Yeree Suh, soprano.

Entretien Par David Verdier, le 01/04/2016

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Le 9 avril prochain la soprano coréenne Yeree Suh sera l’une des invitées du Grand Soir « Passions » à la Philharmonie de Paris. Le programme éclectique et exigeant, de Bach au jeune compositeur slovène Vito Žuraj, correspond bien à cette interprète d’exception aussi à l’aise dans la musique ancienne que dans la création contemporaine. Des répertoires différents qu’elle sert avec la même recherche d’exigence et d’expressivité.

Commençons par quelques mots à propos de votre carrière… Vous avez fait vos études en Corée, à la Seoul National University avant de venir en Europe poursuivre votre carrière. Qu’est-ce qui vous a poussé à prendre cette décision ?

Cette question est liée au fait qu’à Séoul, l’éducation musicale se fonde quasi exclusivement sur les bases de la tradition musicale européenne. Nous avons conscience que cette forme de tradition est la base indispensable à tout étudiant pour parvenir à mener une carrière dans la plupart des pays du monde. Nous sommes donc très curieux de connaître et de comprendre au mieux des formes musicales nées il y a plusieurs siècles.
La formation en classe de chant comprend des fondements théoriques et esthétiques de la musique européenne, le plus souvent à travers des cours d’interprétation autour des partitions majeures du chant allemand, anglais, français, italien et espagnol. Le niveau est tout aussi exigeant que dans les conservatoires européens, même s’il apparaît incontournable de venir en Europe pour compléter notre formation. L’Allemagne me semblait être l’endroit idéal pour cela. En venant à Leipzig et Berlin, je me disais que je devais me perfectionner en priorité dans le chant allemand pour pouvoir affronter n’importe quel répertoire, classique, contemporain ou baroque.

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C’est plutôt rare pour une interprète de chanter à la fois du répertoire contemporain et baroque. Comment avez-vous découvert et abordé ces deux domaines ?

Je considère aujourd’hui que le répertoire contemporain et le répertoire baroque sont moins différents qu’il n’y paraît – spécialement en ce qui concerne leurs exigences communes. Le soin méticuleux, la maîtrise technique et la fluidité de l’interprétation baroque sont autant de choses qu’on peut rattacher à l’interprétation de pièces contemporaines. Le fait qu’on se spécialise dans tel ou tel domaine n’est pas rédhibitoire en soi. On peut tout à fait convertir les compétences que l’on a dans un répertoire pour enrichir l’approche d’un second répertoire. L’essentiel est de garder intacte la joie de pouvoir interpréter ces deux musiques, venues de deux univers différents. Ces formes musicales, apparemment opposées, doivent toutes les deux pouvoir être interprétées avec le plus de conviction possible. Mon objectif est toujours le même : Faire en sorte de saisir et transmettre autant que possible le contenu expressif de la musique. Selon moi, une musique sans recherche expressive perdrait rapidement tout son sens. Voilà mon credo.

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Le 9 avril se déroulera à la Philharmonie de Paris un vaste concert intitulé « le Grand soir ». Au programme figurent des œuvres très différentes les unes des autres. Entre Bach, Schönberg, Varèse, Manoury, Zimmermann,  j’aurais voulu que vous me parliez tout d’abord du moins connu des compositeurs de ce concert : Vito Žuraj.

C’est une pièce écrite pour baryton et soprano. Vito Žuraj  (photo ci-dessous) est originaire de Slovénie. Il s’est intéressé à un sujet aussi vaste qu’éternel : les relations entre les hommes et les femmes ; dans toutes leurs facettes et variations possibles. Il en résulte des situations très différentes. Tout d’abord, le rejet, puis l’approche prudente, le conflit et enfin le surprenant retournement de situation à la toute fin. Tout ce théâtre expressif est débordant de vie et se propage avec une énergie communicative à travers une multitude d’effets de de moyens musicaux. J’ai pris un grand plaisir à préparer et à répéter cette œuvre avec l’Ensemble intercontemporain.

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Offrandes d’Edgar Varèse contraint la voix à réaliser un effort extrême en ce qui concerne la précision de la prononciation, tout en exigeant une projection très large. Est-ce la pièce la plus difficile selon vous ?

La musique de Varèse ne comporte pas de pièces vraiment faciles. Chez lui, tout est soigneusement pesé, chaque son est calculé avec précision. Le résultat est une musique très dense, inégalée sur le plan de la clarté et de la luminosité. Je ne vois pas de paradoxe dans le fait d’associer cette précision de prononciation et cette force de la projection de la voix. Ce sont au contraire deux faces d’une même idée et je dois avouer que j’apprécie vraiment de pouvoir relever ce défi.

 

Photos (de haut en bas) : 1 © DR / 2 © Franck Ferville / 3 © Luc Hossepied pour l’Ensemble intercontemporain / 4 © Hans-Christian Schink