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Entretien avec Manfred Trojahn, compositeur.

Entretien Par David Verdier, le 20/02/2016

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Compositeur, flûtiste, chef d’orchestre, enseignant, Manfred Trojahn est l’auteur d’une œuvre aussi riche que plurielle, paradoxalement encore peu connue en France. Le 23 mars 2016 on découvrira sa toute nouvelle œuvre, commande de l’Ensemble : Nocturne – Minotauromachie. Ce musicien aux multiples activités et regards sur son art nous en dit plus sur sa création et son parcours.

Quand on se documente à votre sujet, on découvre que vous avez été tour à tour flûtiste, librettiste, chef d’orchestre et enseignant. Pour un compositeur, ça fait vraiment beaucoup, non ?

Oui, ça dresse de moi un portrait un peu… « sauvage » ! Pour parler de ma carrière, je serais presque tenté d’utiliser le verbe contrevenir – un verbe que j’emprunte à René Char et qui sert de titre à l’une de mes dernières œuvres. À l’âge de 10 ans, j’ai entendu Don Giovanni et je me suis immédiatement dit que je voulais devenir compositeur. Je me suis consacré à cette activité, en délaissant ma scolarité… au grand désespoir de mes parents. Le hasard a voulu qu’à 14 ans je commence à étudier la flûte. Au bout de six années d’étude, je suis allé à Hambourg passer une audition avec le flûtiste solo de l’Orchestre Philharmonique de Berlin. Son jugement a été très dur et je suis tombé de haut. J’ai alors décidé de m’orienter vers la composition et je suis entré dans la classe de Diether de la Motte. Son enseignement était intéressant mais davantage pour les aspects théoriques que purement compositionnels.

C’est à cette époque que vous avez rencontré György Ligeti ?

Oui, il était arrivé à Hambourg à peu près en même temps que moi et enseignait la composition à la Hochschule für Musik. Je n’étais pas à proprement parler son étudiant car son cours était ouvert à tous. Je n’ai jamais rencontré un personnage aussi fascinant. Il avait une connaissance immense sur des sujets aussi nombreux et variés que la peinture et la littérature… ainsi qu’une grande admiration pour la musique française. Les cours de Ligeti sur Debussy et la musique française sont venus compléter l’idée que j’en avais. J’ai écrit ma première œuvre « sérieuse » : un Kammerkonzert, suivi de près par une pièce pour flûte intitulée Les Couleurs de la pluie. Ces deux pièces étaient vraiment très proches de Ligeti. Quand il a lu ma première symphonie, il a trouvé ça trop polystylistique et pas assez monochrome… Quelques mois plus tard, j’ai reçu un prix pour cette pièce et j’ai été invité au Festival de Royan pour ma pièce d’orchestre Architectura Caelestis. Cette œuvre était volontairement très proche de Ligeti car je voulais démontrer qu’on pouvait imiter son style.

Vous avez été très proche de Wolfgang Rihm, avec lequel vous avez signé un manifeste pour une « Nouvelle simplicité »…

Cette expression a été inventée par Ulrich Stranz, un compositeur qui faisait partie de notre groupe. On a organisé à Cologne un festival qui portait ce titre-là mais au fond, tous les compositeurs de ce collectif avaient des styles vraiment très différents. Certes, il y avait des points communs comme un certain retour à l’expressivité, au lyrisme… et un refus du structuralisme forcené tel qu’il existait à l’époque.

L’électronique ne vous a jamais intéressé ?

J’y ai pensé à plusieurs reprises mais le résultat me décevait. J’ai depuis revu mon jugement, mais davantage en tant qu’auditeur. Le monde de la technologie m’effraie un peu et je dois avouer que je préfère l’univers plus traditionnel du compositeur à sa table de travail écrivant sa musique. Dans une œuvre comme mon Concerto pour flûte, j’ai cherché à mêler des styles hétérogènes qui en définitive deviennent mon propre style. Ma musique s’inspire également de processus, tels qu’on peut les trouver chez Sibelius, avec cette façon d’imbriquer plusieurs parties dans une grande forme unique.

Comment décririez-vous Minotauromachie, votre création pour l’Ensemble intercontemporain ?

J’avais initialement pensé à un titre plus simple, comme Nocturnes par exemple avant de m’orienter vers autre chose. Mon inspiration est principalement née de ces séries de gravures et de dessins réalisés par Pablo Picasso autour des thèmes de la corrida ou du taureau. Il y a dans l’ensemble de son œuvre une forme de variation qui évolue du réalisme à l’abstraction la plus complète. J’ai toujours pensé qu’on pouvait trouver un chemin équivalent pour composer une pièce musicale. Le titre, Minotauromachie, rappelle aussi la lutte de Thésée contre le Minotaure. Cette lutte mythologique signifie un mouvement, une action. Une grande partie de la pièce reste encore à écrire mais je pense que l’enjeu se situera dans la façon dont les couleurs fonctionnent dans un ensemble.

Vous avez été le professeur de Matthias Pintscher à Düsseldorf. Comment l’avez-vous rencontré ?

La première fois, c’était à l’occasion de ma candidature au poste de professeur de composition à Detmold. L’examen d’entrée consistait en une séance de travail avec un jeune compositeur. Le hasard a voulu que ce soit Matthias Pintscher. C’était presque un enfant à cette époque-là. Il m’a montré une œuvre très proche de Ravel, mais avec des aspects d’une naïveté confondante, comme par exemple l’usage de castagnettes pour signifier une inspiration espagnole ! Nous nous sommes ensuite retrouvés à Düsseldorf et nous avons immédiatement collaboré. J’ai tout de suite décelé un caractère « souverain »… une façon unique de réaliser facilement des choses très complexes. Après un passage par Kassel, je l’ai retrouvé au festival de Stuttgart où il a tenu à diriger plusieurs de mes pièces. Il a énormément progressé en tant que chef et compositeur et je ne doute pas que son enseignement à la Juilliard School à New York soit couronné de succès. Je me demande fréquemment comment il fait pour trouver le temps de composer. C’est une personnalité incontournable dans le monde de la musique contemporaine, et j’admire sa façon de travailler très dur, d’être exigeant vis-à-vis de lui-même tout en étant très humain et très à l’écoute des musiciens.

 

Un entretien vidéo avec Manfred Trojahn à regarder :

 

Photos © DR