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Poppe Music : Björn Gottstein s’entretient avec Enno Poppe

Entretien Par Miriam Lopes, le 15/09/2008

Voilà maintenant deux ans que l’Ensemble intercontemporain a créé Öl. Depuis, un changement de perspective s’est opéré dans votre horizon compositionnel. Lequel ?
Je pense que ce qui a changé, au cours de ces dernières années, c’est l’attention grandissante que je porte au son en soi. C’est-à-dire que l’unité d’observation sur laquelle je travaille s’est encore réduite. J’observe et je divise l’atome musical.
Une microscopie acoustique en quelque sorte ?
Oui, c’est une jolie formule même si, bien entendu, il s’agit d’une métaphore. Lorsque je compose, j’ai besoin de regarder de très près les éléments qui entrent en jeu. Plus que travailler avec des sons – la musique est toujours composée de sons –, c’est le son lui-même que je veux questionner.
Dans le passé, cette forme de microscopie a fréquemment conduit à une dilatation du son et donc aussi à un extrême ralentissement de la musique. Cela se passe-t-il également dans votre production ?
Non. Ce n’est pas comme chez Giacinto Scelsi, où le son passe devant vous comme au ralenti. Le son est et demeure juste une composante. Mon travail se situe plutôt dans la ligne de Morton Feldman, avec cette différence qu’un jour j’ai eu le sentiment que cette lenteur n’était pas nécessaire. L’exactitude de Feldman, sa façon de tout manipuler dans tous les sens, d’observer les moindres objets sonores, tout cela m’intéresse pourvu que cela aille vite. Il en va de même de mon approche des micro-intervalles. Pendant mes études, j’ai appris que pour les utiliser, la musique devait être lente, autrement les musiciens ne les percevaient pas. La question se pose aussitôt de savoir si l’on peut malgré tout écrire une musique micro-tonale rapide, qui ne sombre pas obligatoirement dans la confusion.
L’œuvre que vous écrivez actuellement pour l’Ensemble intercontemporain relève-t-elle de ces préoccupations ?
Avec cette œuvre, je veux surtout faire des découvertes sur les cuivres. L’an dernier, j’ai écrit une pièce pour quatre trombones. C’est inouï de possibilités de couleur, de dynamique… Ajoutez-y encore toutes les sourdines… Les quatuors à cordes peuvent tout simplement plier bagage !
Qu’entendez-vous par « faire des découvertes » ? De nouveaux effets sonores ?
Par exemple, oui. Je m’intéresse de très près aux questions liées à l’intonation dans le contexte des séries de sons naturels. Les cors sonnent étonnamment juste dans le registre aigu. Je leur oppose le glissando des trombones. D’une part donc, l’ambitus très étroit, comme en suspens, des cors ; de l’autre, le côté imprécis, en mouvement, des trombones.
Ne doit-on pas, en tant que compositeur, éviter l’écueil de la simple étude, lorsque l’approche est ainsi centrée sur l’instrument ?
C’est une bonne question et qui est au cœur de mes préoccupations. J’ai évidemment des idées dramaturgiques ou même dramatiques, bien distinctes des idées purement sonores. Lorsque j’écris, je mélange ces deux niveaux. Des résistances, attachées à la confrontation entre des idées de structure et des idées sonores qui peuvent ne pas se correspondre, apparaissent et déclenchent des processus où, peu à peu, les divers éléments s’enrichissent mutuellement.
Travaillez-vous en collaboration étroite avec des instrumentistes ?
Oui, à vrai dire toujours. En tant que chef, je me retrouve souvent en situation de répétition. Je peux, par exemple, au cours d’une pause, faire quelques expériences. Il est cependant difficile, sinon impossible, de tester des sonorités d’ensemble dans leur totalité. Si j’écris pour sept cuivres, je peux difficilement me faire une idée du résultat sonore. On ne peut que noter et attendre ce que cela donnera. C’est un peu comme une expérience.
Mais le compositeur ne possède-t-il pas une imagination sonore ?
Certes, mais elle a des limites. C’est à ce moment-là précisément que la composition devient un travail de recherche. La pièce est alors mon sujet de recherche, dont j’expérimente et observe les différentes variantes au niveau des couleurs sonores.
Et cependant, une fois terminée, l’œuvre est définitive.
C’est ce que je ne sais pas. Souvent, je ne m’en tire pas trop mal. Mais il y a aussi des œuvres que j’ai beaucoup remaniées. Déjà avec ma première pièce orchestrale, j’ai dû procéder à plusieurs modifications après la création ; certaines choses, qui allaient pour moi, ne passaient absolument pas.
Vos dernières pièces étaient très concentrées, très ciblées sur une question spécifique. Est-ce cette fois encore le cas ?
En ce qui concerne le matériau, oui, en raison de la concentration sur les cuivres. Mais cette focalisation sur le plan sonore me laisse une grande marge de manœuvre dans le déroulement de l’œuvre. Il est très important lorsque je me focalise sur une donnée quelconque, que j’aie plus de liberté par rapport à d’autres aspects de la composition.
Traduction Miriam Lopes
Extrait d’Accents n° 36
– septembre-décembre 2008
Photo : Enno Poppe © DR