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« La main noire » d’Emmanuel Nunes.

Éclairage Par John Stulz, le 18/10/2022

La composition de La main noire (2007), rare trio pour altos d’Emmanuel Nunes (1941-2012), est liée à un personnage, La Vieille (Die Alte), de son opéra Das Märchen), inspiré du conte symbolique de Goethe, Le serpent vert. Le titre se réfère à l’épisode où le personnage plonge sa main dans le fleuve et la voit ressortir complètement noire. L’œuvre, surprenante par ses modes de jeux, sera jouée le 20 octobre à la Cité de la musique. John Stulz (photo ci-dessus), l’un de ses interprètes nous livre son éclairage sur ce trio saisissant et son auteur.   

Depuis ma première rencontre avec l’œuvre d’Emmanuel Nunes (c’était en 2015 à Vienne : Wandlungen avec le Klangforum Wien sous la direction d’Emilio Pomarico), sa musique m’a toujours frappé (et le mot n’est pas trop fort) — que ce soit par sa brillance, sa virtuosité, son énergie ou même la joie qu’elle dégage.

Contrairement à la plupart de mes collègues de l’Ensemble intercontemporain, je n’ai jamais rencontré Emmanuel Nunes de son vivant. Je fais partie de cette deuxième génération d’interprètes, si cruciale pour la survivance d’une œuvre — tout comme Eva Garnet et Camille Coello, de la classe d’alto de Pierre-Henri Xuereb au Conservatoire de Paris, avec lesquelles je jouerai La main noire. Il est donc, pour nous du moins, un « déjà » classique, à l’instar des grands compositeurs du passé (Pierre Boulez, Anton Webern, Franz Schubert, Johann Sebastian Bach et bien d’autres) dont la musique nous enseigne à devenir meilleurs instrumentistes-interprètes. Wandlungen, Einspilung III (un monstre pour alto seul que j’ai travaillé uniquement « pour le plaisir » à mon entrée à l’Ensemble), Versus III, La main noire— à chaque nouvelle découverte, j’ai le sentiment d’être un fer que l’on forge, et de me fortifier en tant qu’altiste.

J’ai eu la chance de découvrir La main noire voilà quelques années avec mes deux collègues du Trio Estatico (Megumi Kasakawa de l’Ensemble Modern, et Paul Beckett du Klangforum Wien). Chaque minute de répétition (et il y en eu beaucoup !) fut un véritable défi. Une véritable joie aussi que j’ai retrouvée en compagnie d’Eva et Camille, lorsque nous nous sommes attelés à notre tour à ce même défi. Et je reste toujours autant frappé non seulement cette fois par la musique en elle-même, mais aussi par le simple fait que cette musique formidable existe, et qu’il existe aussi de jeunes altistes, assez audacieux et courageux pour aspirer à de telles hauteurs. 

Photos (de haut en bas) : John Stulz © EIC / Emmanuel Nunes – DR