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L’Académie Stauffer à Cremone : au cœur des cordes.

Entretien Par Jéremie Szpirglas, le 30/06/2022

En ce début d’été, deux de nos solistes, le violoniste Diego Tosi et l’altiste John Stulz, prennent le chemin de la plaine du Pô, et plus particulièrement de la petite et charmante ville de Crémone, haut lieu musical s’il en est, pour animer une académie un peu particulière : l’Académie Stauffer. Éclaircissements.

Diego, John, que représente Crémone pour vous ?
Diego Tosi : C’est une ville riche d’une histoire incroyable pour les instruments à cordes : les Amati, les Guarneri et les Stradivari y ont perfectionné leur technique pendant plusieurs générations. Aujourd’hui, c’est la ville aux 151 luthiers — un passage presque obligé pour tout instrumentiste à cordes ! J’ai moi-même eu l’occasion de venir essayer des instruments à l’époque où je cherchais un nouveau violon, voilà quelques années. J’en profiterai de nouveau cette fois-ci, avec la volonté d’apprécier toutes les variétés d’archers et de violons. L’Académie Stauffer nous a même proposé d’essayer quelques instruments de très grandes valeurs.

John Stulz : Crémone est tout simplement le berceau de notre famille d’instruments. Voire de nos instruments : mon alto est né Milan, à moins de cent kilomètres à vol d’oiseau. J’ai visité Crémone quand j’avais 10 ans, à l’occasion de vacances en famille, et je me souviens encore des ateliers de luthier que nous avions visités.

John Stulz


En quoi consiste cette Académie Stauffer, qui, Crémone oblige, se consacre exclusivement aux instruments à cordes ?
J.S. : C’est une institution assez ancienne — notre collègue Odile Auboin me disait y avoir participé en tant qu’étudiante, et a ainsi eu la chance de bénéficier des conseils de l’immense altiste italien Bruno Giuranna.
Sa particularité est de ne pas suivre un format prédéterminé : chaque année, c’est différent, même si le principe est d’inviter de prestigieux interprètes internationaux pour des séries d’ateliers et de master-classes, donnant l’opportunité aux jeunes musiciens de prendre conseil auprès des grands maîtres de leurs instruments. Si elle est habituellement plutôt orientée vers les répertoires classique et romantique, l’invitation qui nous a été faite, par le biais de Diego, est une ouverture bienvenue vers le contemporain.

 

Comment envisagez-vous cette académie ?
D.T. : L’académie se déroule sur cinq jours, et se conclut avec un concert final donné par les douze étudiants.

J.S. : Parmi eux, beaucoup d’italiens, mais aussi un anglo-japonais, une polonaise et quelques autres nationalités… Nous avons demandé à chacun de préparer en amont une pièce du répertoire contemporain en solo, pour la travailler ensemble, notamment dans le cadre de trois sessions de cours collectif.
Le concert sera en plein air, dans le jardin du palais de l’Académie Stauffer, à Crémone. Nous l’avons imaginé comme une sorte de « défilé » de pièces solo : chacun leur tour, ils joueront la pièce qu’ils ont préparé, ou au moins un extrait. Nous pourrons ainsi tous nous écouter individuellement.

Diego Tosi

D.T. : Nous souhaitons brosser un large panel des différentes esthétiques de la musique contemporaine et nous souhaiterions offrir au public une expérience d’écoute atypique grâce à l’articulation de notre programme et à la spatialisation des instrumentistes qui joueront dans différents recoins du jardin.

J.S. : Puis les étudiants se produiront en petite formation de chambre. Nous avons ainsi eu l’idée de travailler tous ensemble le Quatuor opus 28 d’Anton Webern — une œuvre-clef de notre répertoire qui nous permet de remonter aux racines de l’interprétation de la musique contemporaine. Avec douze étudiants, nous pouvons constituer trois quatuors, qui en joueront chacun un des trois mouvements.


D.T. :
Jack et moi participerons à certaines pièces de musique de chambre — je vais ainsi reprendre les Epigramsd’Elliott Carter, pour violon, violoncelle et piano, que j’ai créée il y a quelques années.

J.S. : En guise de grand-finale, nous jouerons tous ensemble le Triple Quartet de Steve Reich — un rêve que je nourris depuis longtemps et que je suis très heureux dans ce contexte.

D.T. : J’attends également cette expérience avec impatience ! Depuis le début de ma carrière, j’ai eu la chance de jouer très régulièrement avec orchestre à cordes sur des œuvres classiques ou romantiques, mais très rarement dans le répertoire contemporain !


Qu’attendez-vous vous-mêmes de cette académie et pensez-vous que cette collaboration se pérennisera ?
D.T. : Mon souhait est de partager avec les jeunes étudiants mon savoir sur ces répertoires contemporains ainsi que le goût de la curiosité et de la découverte des nouvelles sonorités. Leur donner également conscience de la pertinence professionnelle de ces répertoires, pour mieux leur insuffler l’envie de créer de nouvelles pièces, de nouveaux groupes, de nouvelles structures. Il est essentiel d’apprendre plus profondément aux jeunes ces esthétiques qui aujourd’hui font partie de la vie musicale de notre temps.

J.S. : J’attends beaucoup de la rencontre avec ces jeunes interprètes. Nous leur transmettons notre expérience et nos idées, autant qu’ils nous apprennent : avec eux, on se pose de nouvelles questions, on essaie d’y apporter des solutions et de trouver d’autres façons de jouer de la musique.

D.T. : Je voudrais donc remercier Paolo Petrocelli et l’Académie Stauffer d’avoir sollicité l’Ensemble intercontemporain pour ce beau projet. C’est un travail d’avenir et j’espère très sincèrement pouvoir renouveler cette collaboration.

J.S. : J’aimerais moi aussi beaucoup reproduire l’expérience car, en comparaison avec d’autres académies auxquelles on participe, ou auxquelles on a pu participer, celle-ci est à taille humaine, presque intimiste : deux professeurs, une douzaine d’étudiants…

> Du 8 au 16 juillet au Palazzo Stauffer de Cremone 

Photos (de haut en bas) : DR ;  © EIC ; © Anne-Elise Grosbois ; © Andrea Bastoni