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Spirale d’échos. Entretien avec Jérôme Comte, clarinettiste.

Entretien Par Jéremie Szpirglas, le 07/02/2022

 


L
e 9 février prochain, au cours du concert que donne l’EIC à la Maison de la Radio dans le cadre du Festival Présences, Jérôme Comte créera En spirale du compositeur français Philippe Hurel. Il revient pour nous sur l’origine de ce solo de clarinette tournoyant et virtuose.

Jérôme, comment est née En spirale de Philippe Hurel ?
La pièce s’inscrit à l’origine dans le cadre d’un projet, intitulé « Écho », que j’ai initié en 2019 et qui se déroulera jusqu’à 2023. Le principe est de passer six commandes à six compositeurs, et de les mettre en miroir des grands classiques français de la clarinette du début du XXe siècle, qui représentent à bien des égards un sommet de notre répertoire. Le plus subjectivement du monde, j’ai donc attribué à chacun des compositeurs (Philippe Hurel, Philippe Manoury, Yann Robin, David Hudry, Benoit Sitzia et Adrien Trybucki) les œuvres de Claude Debussy, Ernest Chausson, Darius Milhaud, Arthur Honegger, Camille Saint-Saëns et Francis Poulenc. La seule contrainte de la commande était de correspondre (de quelque manière que ce soit : inspiration, citation, ou repoussoir) avec le classique donné. Mon idée était aussi de montrer combien l’écriture de l’instrument a évolué en un siècle.

Philippe Hurel s’est ainsi trouvé à dialoguer avec la Sonate pour clarinette et piano de Saint-Saëns. Non pas parce que je voyais entre eux une quelconque filiation, mais au contraire par leur posture radicalement opposée vis-à-vis de l’évolution des esthétiques musicales : alors que Saint-Saëns a tourné le dos au futur pour rester dans le passé, Philippe a toujours été à l’avant-garde des compositeurs, désirant se démarquer des influences de ses aînés, à commencer par Boulez, en allant voir du côté de la musique spectrale et du jazz.
« Écho » est un projet que je porte dans le cadre de mes activités de soliste à l’extérieur de l’Ensemble intercontemporain, mais il s’avère que l’Ensemble, en la personne d’Olivier Leymarie, et le Festival Présences ont eu la gentillesse de prendre part à la commande et à la production d’En spirale.

En 2017, vous étiez déjà à l’origine de la commande du concerto pour clarinette et orchestre de Philippe Hurel, Quelques traces dans l’air, que vous avez créé l’année suivante : comment avez-vous collaboré avec lui sur En spirale ?
Nous avions déjà énormément travaillé ensemble pour le concerto et nous nous connaissons très bien. D’ailleurs, sa musique me ressemble assez : tonique, dynamique… Pour En spirale, nous nous sommes revus deux ou trois fois : il m’a posé quelques questions sur certains effets, pour voir comment il pouvait les adapter, produire de nouveaux sons, ou tester des matériaux. De là, l’écriture a été assez naturelle, je crois.

Vous mentionnez Quelques traces dans l’air : il se trouve que la trame d’En spirale, en quatre mouvements, en est le prolongement. Le premier mouvement construit successivement trois structures de plus en plus élaborées qu’il déconstruit ensuite, de manière de plus en plus échevelée — la troisième partant dans une spirale incontrôlable. Le deuxième mouvement est plus calme : intimiste, il déploie un monde d’une grande poésie. C’est indubitablement de la musique de Hurel, mais d’une grande douceur : comme une lenteur rapide, ou une rapidité lente. Suit un intermède assez comique, avant un dernier mouvement qui fait comme la synthèse de tout ce qui a précédé. La pièce se referme sur un pied de nez, qui me fait penser à la conclusion des Trois pièces de Stravinsky.

 

Le titre fait donc référence à la construction du premier mouvement ?
C’est mon sentiment. Mais cette spirale peut se retrouver de manière plus globale dans le reste de la pièce. La spirale, pour moi, c’est aussi une affaire de vitesse : cette circulation circulaire est parcourue à des vitesses variables et la pièce toute entière me fait l’effet d’une vis sans fin.

Quels sont pour vous les enjeux d’interprétation d’En spirale ?
C’est une pièce extrêmement difficile. Ces difficultés ne concernent toutefois pas seulement le jeu de clarinette, mais aussi les rythmes, très scandés, alternant slaps, trilles spéciaux et multiphoniques. Le matériau ne cesse de changer et entretenir le groove sur la durée est un véritable défi ! Certains crescendos se déroulent aussi sur des durées très longues, et trouver le bon dosage n’a rien d’évident.
 La pièce dure entre 10 et 12 minutes : ça peut paraître court, mais avec toutes les notes que Philippe m’a écrites, c’est un challenge ! Et cela exige une concentration de tous les instants.

Photos (de bas en haut) : © Franck Ferville / © EIC