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Des notes et des bulles. Entretien avec Charline Collette, auteure, et Violeta Cruz, compositrice.

Entretien Par Camille Dourlens, le 07/04/2021

Des notes et des bulles, c’est le nom d’un atelier original porté par l’Ensemble intercontemporain et la Maison des écrivains et de la littérature, à destination d’une classe de CM1 de l’école François Villon à Sevran (Seine-Saint-Denis). Comme son nom l’indique, il associe la bande dessinée et la musique. C’est la compositrice Violeta Cruz (photo ci-dessus à droite) et l’auteure de bande dessinée Charline Collette qui interviennent auprès des enfants, accompagnées de trois solistes de l’EIC. Les deux artistes nous présentent le projet. 

Violeta, Charline, pour commencer, pouvez-vous nous parler de vos expériences précédentes en matière de pédagogie ?

Violeta Cruz : En Colombie, la musique est toujours pensée en lien avec la pédagogie et j’ai eu la chance d’avoir de très bons professeurs là-bas : apprendre la musique était un plaisir. Plus tard, c’est à l’IRCAM que je me suis initiée à la pédagogie, ce qui m’a permis d’assurer pour la première fois un cours d’électronique appliqué à la composition. J’ai aussi travaillé pour le projet DEMOS à la Philharmonie de Paris et pour un projet soutenu par les ministères de la culture et de l’éducation nationale : les ateliers Médicis. Ce sont ces deux expériences qui m’ont appris à rendre mon travail plus accessible.

Charline Collette : J’ai fait des ateliers d’arts plastiques dans les écoles sur le temps des ARE (Activités Rythme Éducatifs) après mes études. J’ai moi aussi participé aux ateliers Médicis, et j’ai travaillé en milieu rural pendant un mois et demi avec une école. De plus, dans le cadre des sorties de livres et plus généralement lorsque que l’on évolue dans l’univers de la littérature jeunesse, nous animons souvent des rencontres et des ateliers avec notre public d’enfants.

 

Quel lien chacune d’entre vous entretient-elle avec la pratique artistique de l’autre ?

V.C. : J’ai principalement découvert la bande dessinée en France, je commence juste à me l’approprier et cela me plait beaucoup. Les albums que je connaissais en Colombie s’adressaient surtout aux enfants. Pour autant, le lien avec la musique reste abstrait. Ce qui s’approche le plus de mon univers sonore, ce sont plutôt les albums jeunesses car le format peut être plus éclaté, plus « fou ». Pour ce qui est de la bande dessinée, nous sommes en train de tisser le lien entre ces deux espaces, mon espace sonore et l’univers de Charline.  

C.C. : C’est une question très difficile. Je ne pratique pas la musique, bien que j’en sois amatrice. Quant à son lien avec la bande dessinée, c’est justement ce à quoi on va réfléchir grâce à ce projet ! Quand je lis une bande dessinée, la première chose que j’imagine, c’est les mondes qu’elle raconte. Pas forcément de la musique, mais aussi les sons. Ils sont très présents dans tous mes livres, ainsi que les voix, qui racontent et transmettent les récits. 

Comment cette résidence s’inscrit-elle dans votre parcours artistique ? 

V.C. : J’ai déjà eu deux expériences pédagogiques auparavant : j’ai écrit une pièce pour un chœur d’enfants qui n’avaient pas de formation musicale, et, lors d’un autre projet, je partageais régulièrement avec des jeunes ma réflexion et l’évolution autour de l’écriture de l’une de mes pièces. Dans le projet Des notes et des bulles, les enfants sont actifs dans le processus de composition et cela ajoute une dimension. C’est un format très particulier ! 

C.C. : Je suis d’accord avec Violeta, c’est un format qui amène des réflexions uniques. C’est nouveau pour moi de travailler avec quelqu’un d’un univers artistique aussi différent. Je trouve intéressant d’observer la façon dont elle travaille avec les enfants. On leur transmet quelque chose, mais nous-même nous apprenons beaucoup.

En quoi est-ce différent de travailler avec des enfants qui ne connaissent ni la bande dessinée, ni la musique contemporaine ? 

V.C. : J’ai surtout travaillé avec des enfants qui n’ont pas ou peu eu l’occasion de pratiquer, justement. Cela m’oblige à être beaucoup plus précise, on compte sur moi pour le lexique, les références… Je dois partir de zéro et c’est une grande responsabilité.

C.C. : Je n’ai pas non plus l’habitude de travailler avec des enfants très avancés en dessin, et ce ne sont de toute façon pas les ateliers que je préfère. En apprentissage, c’est plus difficile de déconstruire que d’apporter quelque chose de totalement nouveau. J’ai l’impression que dans ces ateliers à Sevran, les enfants sont très disponibles et très ouvert à ce que nous leur proposons.

 

Que souhaitez-vous transmettre à ces enfants ? 

C.C. : Ce qui me tient à cœur, c’est de leur donner envie de lire, leur transmettre le plaisir de se plonger dans un livre et leur proposer une bibliothèque aussi grande que possible : bandes dessinées, livres illustrés, romans… Une fois que l’on a ça ensoi, on n’est plus jamais seul. Et puis, bien sûr, j’aimerais leur transmettre le plaisir de dessiner, de raconter des histoires, de créer un rapport au récit.

V.C. : De la même façon que Charline, j’aimerais leur transmettre une curiosité. Leur présenter une palette de sons si vaste qu’ils découvriront forcément quelque chose qu’ils aimeront ! Je ne me limite pas à leur faire découvrir ma propre musique, je ne suis d’ailleurs pas là pour ça. Je voudrais qu’ils développent leurs propres goûts. Je voudrais susciter des réflexions sur le son, car la question de la limite entre la musique et le son est importante dans ma démarche personnelle. 

 

 

Les séances ont commencé il y a quelques mois. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué jusqu’ici ?

C.C. : D’avoir écouté Violeta, et l’idée que moi aussi je peux énormément apprendre de ce projet. J’ai également été impressionnée par l’étonnante capacité d’écoute des enfants. C’est un groupe super ! C’est une belle et grande responsabilité de participer à un projet comme celui-ci qui présente de tels   outils pour réussir. 

V.C. : Alors que j’avais une grande appréhension sur la complexité et la densité du projet, ce qui m’a le plus marqué c’est que les enfants nous suivent avec un grand enthousiasme et engagement.

Violeta, comment allez-vous travailler avec les solistes de l’EIC ? 

Pour l’instant, tout est possible. En précisant les choses, je pourrais leur donner un rôle clair et créer un langage dans lequel ils seront mis en valeur. Il va falloir unifier un écart de niveau évident entre les enfants et les solistes de l’Ensemble, tout en profitant du talent des musiciens. C’est un vrai défi ! 

Lors d’une séance récente, le thème « pouvoirs et potions magiques » a été choisi par les élèves. Comment ce thème a-t-il fait son chemin ?

C.C. : Oui, ce thème est génial, nous pouvons toucher beaucoup d’enfants et leur apprendre beaucoup de techniques différentes. Les ateliers sont tous trouvés, cette recherche a éclairci le projet et a ouvert des portes ! 

V.C : Nous pensons avec Charline que ce thème peut en contenir beaucoup d’autres : tout contient une part de magie ! Il faut que l’on fasse cependant attention à ne pas tomber dans le cliché de sorcières au chapeau pointu. Le sujet est vaste donc il va falloir le limiter.

 

 

Dans la bande dessinée, la narration est importante : est-ce que celle-ci va faire le lien entre la musique et la BD ? Utiliserez-vous des cases, des bulles, etc. ?  

C.C. : Pour l’instant, on ne sait pas comment cela va s’articuler. Même chose pour les cases et les personnages. Avec le thème choisi nous allons voir ce qu’il se passe. J’ai des idées plutôt figuratives, sans personnages : ils sont trop difficiles à mettre en place. J’y vois plutôt des formes géométriques, pas forcément abstraites. Je ne sais pas si nous utiliserons des cases, il existe après tout des bandes dessinées sans cases. 

V.C. : Dans ce projet, la narration est très importante. Elle doit nous servir de colonne vertébrale, il faut s’appuyer sur elle pour pouvoir prendre de la distance artistique. Si la forme est simple et claire, nous pourrons faire des choses poétiques, inventives, folles, bizarres… sans perdre le public. 

 

Projet réalisé en partenariat avec la Maison des écrivains et de la littérature
La SACEM – Les Fabriques à Musique
La Canopé – Appels à projets Arts et culture et Développement du chant choral à l’école
Le département Seine-Saint-Denis (93) – Culture et arts au collège

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Montage de l’article : Élisa Poli
Photos (de haut en bas) : © Franck Ferville / autres photos © Élisa Poli pour l’EIC