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L’Impatiente de Balfour. Entretien avec Claire-Mélanie Sinnhuber, compositrice.

Entretien Par Jéremie Szpirglas, le 26/02/2021

En fin d’année dernière, l’altiste Odile Auboin et la harpiste Valeria Kafelnikov devaient créer sur la scène de la Philharmonie de Paris L’Impatiente de Balfour de la compositrice franco-suisse Claire-Mélanie Sinnhuber. Les circonstances, naturellement, en ont décidé autrement. La création n’a cependant pas été annulée et, comme tant d’autres, s’est déroulée sans public. Elle sera diffusée le 6 mars sur Philharmonie live. Entretien avec une musicienne aussi vive que subtile.

 

Claire-Mélanie, pour entrer tout de suite dans le vif du sujet, pourquoi avez-vous choisi ce titre, L’Impatiente de Balfour ?

La plupart du temps, mes pièces naissent d’une nécessité purement sonore, et le titre arrive dans un second temps. L’impatiente de Balfour est une fleur dont le nom a fini par s’imposer, sans autre justification que celle-là, laissant la porte ouverte à l’imaginaire de chaque auditeur.

L’impatiente de Balfour est un duo pour alto et harpe. A un instrument près (la flûte) cela rappelle l’effectif d’un célèbre trio de Debussy. Est-ce un hasard ?

C’est bien sûr l’effectif du trio de Debussy moins la flûte. C’est cependant la troisième fois que j’associe la harpe et l’alto dans une pièce de musique de chambre : d’abord pour les Cinq jours de Paul Klee, pour soprano, alto et harpe, en 2013 ; ensuite dans Un soir de Septembre, pour soprano, flûte, alto et harpe, sur des textes du philosophe français Clément Rosset en 2016 ; et enfin pour cette Impatiente de BalfourTout est parti de l’effectif des Cinq jours de Paul Klee, dont le choix est partiellement lié au hasard. Un soir de septembre et L’Impatiente de Balfour ont été commandées par des musiciens qui avaient entendu et aimé cette première pièce.

 

Ici, c’est la première fois qu’ils ne sont pas associés à une voix et à un texte. Qu’est-ce que cela change ?

Ma relation au timbre est identique, j’ai des goûts, des lubies sonores, des envies d’explorer, qu’il y ait ou non un texte. Mais la présence d’un texte a toujours des conséquences sur la construction temporelle de la partition qui se fait l’écho, pour la suivre ou pour s’en écarter, de la forme littéraire.

 Comment avez-vous marié les deux instruments ? 

La composition d’une pièce démarre toujours, chez moi, par une étude approfondie de ce que je souhaite entendre de chaque instrument. L’alto incarne à mes oreilles une sorte de voix sans mots, proche d’une respiration. C’est un instrument dont j’aime le grain, la transparence, la fluidité et que j’entends comme de près, avec ses souffles d’archet, ses micro-variations spectrales. La palette sonore de la harpe, entre pierre, cristal et gong, m’a toujours fascinée, ainsi que sa projection sonore, qui la place dans un espace à la fois de proximité, par la netteté de ses attaques, et de distance, par l’extraordinaire longueur de ses résonances. Une attaque unique de harpe me semble ouvrir tout un monde. La pièce se fait en partie l’écho de ces fascinations :  j’y joue, comme souvent, sur les points de rupture et de jonction entre les timbres,  dans une quête de transparence et de légèreté, qui prend la forme libre d’un Prélude et Toccata.

 

Comment avez-vous travaillé avec les musiciennes,  sachant que vous connaissiez déjà la harpiste, Valeria Kafelnikov ?

C’est Valeria Kafelnikov qui, ayant entendu les Cinq jours de Paul Klee, a suggéré à l’Ensemble intercontemporain de m’offrir l’opportunité de ce duo. J’ai travaillé avec Odile et elle dès le début de l’écriture de la pièce, sous forme d’études et de réaction/proposition de leur part. La collaboration s’est intensifiée au moment des répétitions en amont la captation. Je veux d’ailleurs saluer ici leur musicalité et leur implication sans faille.

En l’occurrence, en raison de la crise sanitaire, la création de L’Impatiente de Balfour se fera sous forme de vidéo avec une diffusion « en ligne ». Qu’est-ce que cela change pour vous ?

Tout. Avec l’arrêt des concerts, on a mesuré combien la présence réelle est irremplaçable : la projection du son, la disponibilité à le recevoir, le point de vue fixe du spectateur, qui permet de se concentrer uniquement sur le discours sonore… tout cela a été perdu. Sans parler de l’énergie des musiciens, qui est habituellement modifiée par la présence du public. Les technologies nous ont sauvé du néant mais n’ont pas pris la place du concert et c’est tant mieux.

Comment avez-vous vécu (et vivez-vous encore) la période si particulière que nous traversons ?

Le concert étant la conclusion naturelle de la composition d’une pièce, chaque annulation a été, et est toujours, un crève-cœur. Il faudrait faire l’inventaire des pièces qui n’ont pas pu être créées pendant cette parenthèse, et dont on ignore si elles le seront un jour.