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Comme un oiseau sur une note. Entretien avec Mikel Urquiza, compositeur.

Entretien Par Jéremie Szpirglas, le 16/12/2020

Le 21 décembre prochain, lors d’un concert au Théâtre du Châtelet qui sera filmé et diffusé en direct, l’Ensemble intercontemporain présentera trois nouvelles œuvres. Parmi elles, une composition originale de Mikel Urquiza, destinée à l’origine à une nouvelle soirée In Between qui devait avoir lieu en septembre de cette année. En attendant de découvrir cette création répondant au titre curieux de Oiseaux gazouillants et hibou qui se retourne, nous vous emmenons à la rencontre d’un jeune compositeur épris de nature et de légèreté…

 

Mikel, quelle est l’origine du titre, bien curieux, de votre création ?

Oiseaux gazouillants et hibou qui se retourne est le nom d’un automate construit par Philon de Byzance, un ingénieur grec, au IIIesiècle av. J.-C. Ce qui me frappe dans cet automate (ci-contre), c’est le raffinement de l’histoire qu’il nous raconte avec des moyens très simples. Trois oiseaux se taisent sous le regard inquiétant d’un hibou — un silence qui suggère la mort. Qu’un objet inanimé (qui, soit dit en passant, fonctionne à l’eau, source de vie) puisse jouer ce petit théâtre me semble un bel oxymore. Dans ma création, l’alternance entre les oiseaux et le hibou se reflète dans l’opposition des solos au tutti. Au début, les solos sont perceptibles seulement quand le tutti se tait ; lentement, ils tissent un discours qui leur est propre et qui finit par renverser le paradigme d’écoute.

S’agissant de titres, en parcourant l’ensemble de vos œuvres, on en découvre dans pas moins de cinq langues (basque, espagnol, français, latin, anglais, et je crois, italien) : comment les choisissez-vous ?

Hormis le latin (qui est un caprice romain), ce sont les langues que je peux lire et parler couramment. Mes titres ont souvent un lien avec une œuvre d’art : comme mes sources sont polyglottes, mes titres le sont aussi.

À l’origine, cette pièce devait être créée dans le cadre d’une soirée très particulière intitulée A cabin in the woods, imaginée et mis en scène par Alexander Fahima. Comment l’imaginaire de ce concert agit-il dans la pièce ?

J’ai été séduit par la proposition d’Alexander et j’ai imaginé une musique qui puisse adhérer au programme du concert. Plusieurs éléments sonores renvoient à la forêt : les chants d’oiseaux, évidemment, mais aussi le fait de cacher certains instrumentistes (à l’image des oiseaux cachés derrière les feuilles) et de créer des plans sonores différenciés (pour déconstruire la scène). Par ailleurs, j’ai écrit cette pièce à la Villa Médicis, dans une maison entourée de verdure (une véritable « cabin in the woods ») et d’oiseaux : des mouettes sur le toit, des perroquets sur les arbres, des paons dans la cour, beaucoup de merles…

 

Quelles en étaient les contraintes et comment vous les êtes-vous appropriées ?

Je n’ai pas eu l’impression d’être face à une contrainte. Les idées d’Alexander ont stimulé ma fantaisie et m’ont poussé vers un dispositif que je n’avais pas encore employé. Collaborer, pour moi, ce n’est pas simplement mélanger : la curiosité et l’ouverture amènent plus loin.

Au-delà de cette création, votre œuvre laisse apparaître une certaine fascination « pastorale » ou du moins une part d’inspiration empruntant à la nature : d’où vous vient-elle ?

Les pièces que j’écris tissent un réseau de thématiques communes, de liens de parenté et de ressemblance. Belarretan, sur l’herbe, qui porte peut-être le titre le plus « pastoral » de mon catalogue, est en réalité une réflexion sur une peinture du Titien ; Las olas, les vagues, parle de la mer mais aussi du roman homonyme de Virginia Woolf. Chaque titre est (au moins) double. La nature m’intéresse, artistiquement, en tant qu’invention humaine. 

S’agissant ici des oiseaux, on est frappés plus généralement dans votre musique par une qualité « aérienne » (faite de légèreté, de grâce et de douceur du vol) : la recherchez-vous et pourquoi ?

Le vol est en effet une autre thématique récurrente dans ma musique (quand j’étais étudiant au Conservatoire de Paris, les solistes de l’Ensemble intercontemporain ont ainsi créé mon quintette à vent Manual de vuelo del aeronauta inexperto), mais j’aimerais parler plutôt de cette légèreté que vous mentionnez aussi, car c’est un attribut qui m’est cher. Je crois sincèrement que les idées les plus profondes et complexes peuvent être exprimées par des musiques accueillantes et communicatives.  Alors pourquoi se refuser cette qualité ?

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Photo © Bálint Hrtokó / Peter Eötvös Foundation