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Étoile Double. Entretien avec Christian Rivet, compositeur.

Entretien Par Jean-Christophe Montrency, le 26/02/2018

 

C’est en regardant les étoiles filantes que Christian Rivet à eu l’idée de composer Étoile Double : un concerto pour contrebasse, violoncelle et ensemble que l’EIC présentera en création mondiale le 9 mars prochain à la Philharmonie de Paris. Le compositeur qui est aussi guitariste et luthiste nous a accordé un entretien tout en poésie, à l’image de sa musique.

Christian, à quoi se réfère Étoile Double, le titre de votre nouvelle œuvre ?

Tout vient en réalité d’une image : étendu sur le sol, je regarde dans la nuit la trace éphémère d’une étoile filante. Étoile Double, c’est ainsi le parcours ou la course, filmée au ralenti, d’un intervalle* de seconde qui zèbre la toile, format grand univers, qu’est la partition. En astronomie, une étoile double ou binaire (appelée aussi système stellaire binaire ou étoile double physique), est un système binaire d’étoiles en orbite mutuelle, liées gravitationnellement l’une à l’autre : elles tournent toutes deux autour du barycentre (le centre de gravité) du système qu’elles constituent. Ainsi le violoncelle et la contrebasse ne se superposent-ils quasiment jamais : ils se répondent ou interagissent. Ils représentent en quelque sorte des fenêtres, visibles seulement un bref moment, qui ouvrent sur un ciel ou, plutôt, sur un monde de textures dessinées par l’ensemble des autres instruments.

Extrait de la partition d’Étoile Double de Christian Rivet

 

Qu’est-ce qui a motivé la composition de cette œuvre ?

La pièce est, je crois, née du désir de susciter un dialogue entre le monde consonant et le monde dissonant, afin de superposer les deux. Au fond, c’est une réflexion à la fois sur le concept de modernisme, sur l’écriture et ce qu’elle représente, en même temps que sur mon époque par le choix du langage, du vocabulaire… Partant du principe que l’Homme serait bel et bien composé de poussières d’étoiles, la pièce se veut un voyage poétique au cœur de l’outremer et du bleu roi qui résident en chacun de nous. Une traversée du monologue intérieur de l’auditeur avec, pour tout bagage, le prélude Des pas sur la neige de Claude Debussy — et cette pudeur debussyste, qui me touche tant — ainsi que le poème The Love Song of J. Alfred Prufrock de T.S. Eliot.



Extrait de la partition d’Étoile Double de Christian Rivet

 

Comment avez-vous approché le dialogue doublement concertant ?

Étoile Double n’est pas un double concerto au sens strict. Les instruments solistes sont davantage envisagés comme des déclencheurs d’évènements et font office de guides dans un monde de couleurs. À cet égard, la pièce se veut une recherche sur la mise en perspective du temps et du silence, véritable et principal résonateur d’impressions.

Pourquoi avoir choisi la contrebasse et le violoncelle pour les instruments solistes ?

J’ai une passion pour ces instruments : ils permettent de conjuguer la poésie du registre grave (comme obscurci par les nuages ou la brume) et la précision du trait dans l’aigu. Le but premier ici est de travailler sur les textures, les sonorités, la mémoire, de voyager à la recherche d’une couleur perdue. Il y a tout du long des conjonctions de timbres qui donnent naissance à de nouvelles sonorités, chacune n’apparaissant qu’une et une seule fois au cours du parcours.

 

Vous êtes vous-même interprète, luthiste et guitariste. Pensez-vous que cela vous donne une vision différente de la composition ? En quoi votre métier d’interprète nourrit-il votre travail de compositeur ?

Le travail d’interprète pèse considérablement sur celui du compositeur. Chaque élément musical est envisagé avec son geste : avec ses appuis, en intégrant les déplacements ou les mouvements de l’interprète dans la rythmique et le discours de la pièce, en prenant en compte la durée d’une sonorité, la projection du son ou, au contraire, son étouffement. Le monde du luth est une réflexion sur le silence, sur le phrasé, sur la durée de vie d’un son et la manière de construire le discours et son ornementation, en plaçant la bonne harmonie et la bonne note au bon endroit.
Étoile Double s’inscrit également dans le monde des résonances, un peu moins dans celui de la projection sonore. La pièce est ainsi le lieu d’un travail conséquent sur la technique du dénuement. Cela fait naître une tension, à la fois chez les musiciens et chez l’auditeur, suscitant une écoute particulière, une concentration qui créé du lien. Une invitation à la participation active du public dans l’écoute.

*En musique, un intervalle désigne l’écart de hauteur entre deux notes.

 

Photos (de haut en bas) : © Catherine Maria Chapel /© Yves Nivot