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La Saudade de Pascal Dusapin. Entretien avec Raquel Camarinha, soprano.

Entretien Par Laurent Fassol, le 29/01/2018

Le 18 février prochain, à la Philharmonie de Paris, la soprano Raquel Camarinha se joindra aux solistes de l’Ensemble intercontemporain et de l’Orchestre de Paris pour un concert mettant en perspective l’univers du compositeur Pascal Dusapin avec ceux de Franz Schubert et de Samuel Beckett. L’occasion d’une rencontre avec cette étoile montante de la scène musicale contemporaine.

Raquel, les amateurs de musique contemporaine commencent à bien vous connaître : d’où vous vient votre engagement pour ce répertoire ?

C’est un engagement qui vient de loin. Mon intérêt pour la création remonte je pense à ma première année d’Université. Le début de l’histoire est vraiment banal. Je ne connaissais absolument rien du répertoire contemporain, mais j’étais très amoureuse d’un collègue compositeur… Alors, je me suis retrouvée pendant l’été 2005 à Kürten, pour les Stockhausen-Stiftung für Musik, et embarquée dans toutes sortes de projets plus ou moins loufoques de création. Ce travail m’a passionnée, car il ne s’agit plus seulement de relayer une partition. En travaillant directement avec le compositeur, je peux accéder à la méta-partition, je suis « dans le secret »… Et même, dans certains cas, je peux participer à l’élaboration de la partition ! Comment pourrait-on refuser ce genre d’expérience ? Les projets se sont faits de plus en plus nombreux, particulièrement après mon arrivée à Paris. Aujourd’hui, interpréter ce répertoire est pour moi une évidence.

À quelle occasion avez-vous découvert la musique de Pascal Dusapin ?

Ce n’est qu’à mon arrivée à Paris que j’ai entendu pour la première fois l’une de ses œuvres. Ce concert « Melancholia » a été l’occasion de le rencontrer personnellement. Je suis très sensible à son univers musical : j’y entends une grande mélancolie et surtout une profonde beauté, mais aussi un sens de la dérision d’une grande élégance.

Comment avez-vous préparé ce concert avec lui, justement ?

Nous avons échangé sur une multitude de sujets, bien plus vastes que les deux œuvres que je vais chanter à cette occasion. Je trouve effectivement très enrichissant​ de connaître l’univers du compositeur au-delà de celui, strict, de l’œuvre.

Quels sont, pour une chanteuse, les enjeux particuliers soulevés par l’interprétation de sa musique ?

Dans le répertoire contemporain, l’écriture vocale reste bien souvent très instrumentale et le texte est relégué au deuxième plan, déconstruit ou submergé. Dans la musique de Pascal, c’est tout l’inverse : non seulement on constate au contraire un grand lyrisme dans les lignes vocales mais le choix et le traitement des textes sont très particuliers et soignés. Je pense en particulier à Wolken (2013-2014), où les poèmes de Goethe sont magistralement rendus par l’étonnante simplicité de la ligne de chant et la présence affirmée et néanmoins délicate du piano.

Ce concert « Melancholia » met l’œuvre de Dusapin en perspective de l’univers de Samuel Beckett et des Lieder schubertiens : que vous inspire cette proximité au sein d’une même soirée ?

C’est pour moi une évidence : Pascal porte en lui une mélancolie omniprésente qui me rappelle beaucoup la « Saudade » portugaise, d’ailleurs. Et l’on retrouve cette mélancolie aussi bien dans le vide et les silences de l’écriture beckettienne ​que dans les plus belles pages de Schubert. Ils ne peuvent que bien s’entendre.

Ce concert est atypique : programme thématique, mise en espace, lectures, présence du compositeur sur scène. Comment voyez-vous l’avenir du concert et de la représentation ?

Il est selon moi fondamental de revoir la structure classique du concert. La musique ne peut que profiter d’une mise en perspective d’œuvres et de genres qui n’ont a priori pas grand-chose en commun. De la même manière, le récital s’affirme de plus en plus un spectacle qui doit être conçu comme un parcours, une expérience à part entière, et non pas simplement comme une liste d’œuvres plus ou moins thématisée.

 

Photos © Franck Ferville