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Retour sur 2016-17. Jean-Christophe Vervoitte, corniste : « Une communion entre nous et avec le public. »

Entretien Par Jéremie Szpirglas, le 20/07/2017

JC VERVOITTE© Frank Ferville_IMG5736_2
40 ans de l’EIC, grande tournée en Asie, concerts avec l’Orchestre de Paris et les Arts florissants : Jean-Christophe Vervoitte, corniste, revient sur les événements d’une saison 2016-17 à la lumière de laquelle il évoque diverses perspectives d’avenir pour l’Ensemble.

Jean-Christophe, quels ont été selon vous les grands moments de cette saison ?

D’abord, et c’est l’évidence, la grande soirée du 17 mars célébrant les des 40 ans de l’EIC (photo ci-dessous). Ce fut un moment de communion intense avec le public en même temps qu’au sein de l’Ensemble : nous étions tous mobilisés et soudés autour de ce projet. L’idée est née un an auparavant, au cours de notre tournée aux États-Unis et le projet a été porté de bout en bout par les musiciens : en quatre volets, nous avons illustré toute l’histoire de l’Ensemble : son passé, son présent et son futur.

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Autre fait significatif : cette saison a été la première pour les Domaines de la Philharmonie, une série de concerts de musique de chambre en collaboration avec l’Orchestre de Paris et les Arts Florissants (photos ci-dessous). L’occasion de se rendre compte de la complicité qui règne entre nos collègues, avec lesquels nous cohabitons au sein de la Philharmonie, et nous, au-delà de ce que nous pouvions imaginer auparavant.

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Dernière image que je retiens de cette saison : notre tournée en Asie (photo ci-dessous : Concert Hall de Séoul). Une tournée qui nous a mené de Taiwan en Corée du Sud en passant par Hong Kong. Autant de pays où nous avons été superbement accueillis.

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Quels axes de l’activité souhaitez-vous plus particulièrement approfondir à l’avenir ?

Assumer et affirmer notre statut de résident au sein de la Philharmonie de Paris me paraît essentiel. Cela passe bien entendu par le renforcement de notre collaboration avec l’Orchestre de Paris et les Arts Florissants mais aussi par une posture de « prescription innovante », cette posture qui depuis 40 ans établit l’Ensemble en tant que modèle dans le monde musical.

Ce qui m’amène au second point : imaginer un autre « rituel » du concert. Avec les installations à notre disposition, à la Philharmonie notamment, nous avons la possibilité de développer d’autres modes de représentation de la musique. La manière la plus évidente aujourd’hui, qui relève presque du lieu commun, c’est bien sûr l’ouverture à d’autres champs esthétiques (danse, vidéo, etc.). Mais je suis convaincu qu’il faut aussi et surtout remettre la musique au centre de la vie musicale. Cela ressemble à un pléonasme, mais on a aujourd’hui tendance à diluer la musique, par essence le plus immatériel des arts, dans d’autres médias beaucoup plus puissants qui peuvent s’avérer dévastateurs pour elle. Veillons donc à ne pas prendre la proie pour l’ombre et à promouvoir la musique en elle-même et pour elle-même.

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À ce sujet, je tiens à dire que, chaque fois que l’EIC se produit dans la grande salle Pierre Boulez à la Philharmonie (photos ci-dessous), la salle est comble. Il nous faut vaincre les préjugés et notamment ceux de nombreux organisateurs de concerts qui hésitent à nous inviter. L’essence même de l’Ensemble, c’est la curiosité, la découverte, l’expérience, même si l’on a également un cœur de répertoire à défendre.

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20-DSCF0990-2-_copyright Luc Hossepied
Enfin, depuis des années, nous caressons le projet d’une biennale de la création musicale au cours de laquelle nous inviterions d’autres ensembles venant des quatre coins de l’Europe, tous les « enfants » que Boulez a fait naitre dans son sillage (Ensemble Modern, Klangforum Wien, Asko, Remix, etc.), afin de promouvoir une idée européenne de la musique dans toute sa diversité.

Qu’attendez vous plus spécialement la saison prochaine ?

Le projet phare de l’année est indubitablement la tournée Répons à New York en octobre (photo ci-dessous). Répons, c’est en quelque sorte notre « carte de visite », la pièce reine de notre répertoire, qui symbolise le legs que nous a fait Boulez en même temps que l’acmé des possibilités artistiques de l’EIC et de l’Ircam réunis. Comptant 31 solistes permanents, nous sommes le seul ensemble au monde à pouvoir véritablement l’interpréter. Cette tournée Répons représente ainsi le renouveau de l’EIC avec la conquête de nouveaux territoires, à commencer par les États-Unis, incontournables.

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Et puisque l’on parle des États-Unis, le deuxième projet qui me tient à cœur est Des Canyons aux étoiles d’Olivier Messiaen, écrite pour le bicentenaire de l’indépendance des États-Unis justement. On ne joue qu’assez rarement cette œuvre, tous les dix ans environ : les multiples de huit généralement. Messiaen est en né en 1908 et mort en 1992, curieusement huit ans après la naissance du XXe siècle et huit ans avant la naissance du XXIe, tant il est vrai que le huit est un nombre symbolique pour Messiaen, qui attachait beaucoup d’importance à ces détails-là. Des Canyons aux étoiles est un grand cycle fondamentalement spirituel, une contemplation de la majesté de la nature. Nous jouerons ce chef-d’œuvre pas moins de quatre fois (à Bruxelles, à Lucerne, à la Philharmonie de Paris et enfin au Luxembourg), enrichi de « l’installation » de la plasticienne belge : Ann Veronica Janssens. C’est donc un projet emblématique des nouvelles directions de l’EIC.

Le troisième projet dont j’ai hâte, c’est cette promesse faite à la Boulez Saal de Berlin (photo ci-dessous) de revenir pour une sorte de « mini festival » de trois concerts en 2018. Notre premier concert là-bas en juin a été très émouvant pour tous les musiciens : l’acoustique de cette salle est tout simplement parfaite, et nous avons entendu …explosante-fixe… comme jamais auparavant. Voilà 25 ans que je joue cette pièce et c’est la première fois que j’en entends vraiment tous les détails. Nous avons en outre ressenti une belle ferveur du public berlinois pour la création contemporaine.

Ensemble Intercontemporain & MATTHIAS PINTSCHER im Pierre Boulez Saal
Le mot d’ordre concernant l’avenir de l’Ensemble, c’est « occuper le terrain », comme disait Boulez : c’est-à-dire s’ouvrir à d’autres horizons esthétiques et conquérir de nouveaux territoires, porter un message d’ouverture, de curiosité, de diversité. C’est notre mission depuis 40 ans.

Quelles sont pour vous les évolutions les plus notables de l’Ensemble depuis que vous y êtes entré ?

À 47 ans, je fais partie des musiciens qui ont vécu les trois « phases » de l’Ensemble, même si cette vision peut paraître un peu réductrice. La première phase, c’est l’EIC « sans domicile fixe », entre 1976 et 1995. Porté par la ferveur de Boulez et appuyé par les pouvoirs publics, l’EIC sillonne la France, l’Europe et le monde, mais répète dans une petite salle du Pavillon Avicenne, à la Cité internationale, au bord du périphérique dont le vacarme perturbe les répétitions.

La deuxième phase, c’est l’installation en résidence à la Cité de la musique, inaugurée en 1995. Une bonne étoile qui symbolise la rencontre de l’Ensemble avec le monde musical « traditionnel ». L’Ensemble, qui faisait jusque-là un peu figure d’OVNI, affirmait sa place et son identité. Un confort nouveau qui pouvait aussi comporter le risque de l’habitude. L’ouverture de la Philharmonie de Paris en janvier 2015 (deux ans déjà !) représente la troisième phase et marque un nouvel élan en même temps qu’un grand défi.

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Avec la disparition de Pierre Boulez l’an passé et nos quarante ans cette année, l’Ensemble est parvenu à sa pleine maturité et se doit de s’engager dans de nouvelles voies. On observe pour la prochaine saison un « alignement des planètes » favorable pour réaffirmer et pousser encore plus loin le projet de l’EIC, avec cet effectif de 31 musiciens qui représente un énorme atout sur la scène musicale contemporaine, mais aussi avec son équipe administrative, son directeur musical et les soutiens de l’État et de la Ville de Paris. Et la Philharmonie, qui est notre base parisienne pour mieux rayonner dans le monde. Il faut continuer à faire de l’Ensemble intercontemporain un acteur de création, de l’innovation, de la transmission pour développer notre attractivité. Il faut continuer à soutenir cet ensemble, surtout dans ce contexte de remise en question, notamment des politiques culturelles. Nous ne sommes pas des suiveurs, mais des penseurs de la musique. À ce titre, il nous faut aujourd’hui « re »penser la musique, pour reprendre une expression chère à notre fondateur.

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Photos (de haut en bas) : Jean-Christophe Vervoitte © Franck Ferville  / autres photos © EIC