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Ivan Fedele : À propos de « Words and Music » de Samuel Beckett.

Éclairage Par Ivan Fedele, le 30/01/2016

Yvan Fedele
Le 9 février prochain à la Philharmonie de Paris, Ivan Fedele présentera sa création musicale pour une nouvelle version scénique de Words and Music (1962), une pièce de Samuel Beckett. Le compositeur italien livre quelques clés de son travail sur ce texte conçu à l’origine pour la radio.

Lorsque l’on travaille sur les textes de Samuel Beckett, on se doit d’être fidèle aux indications de mise en scène nombreuses et précises de l’auteur, avec toutefois une certaine liberté accordée à la musique.
La partition de Words and Music a déjà connu plusieurs versions, l’une par John Beckett, un cousin du dramaturge, une autre par Humphrey Searle et une enfin par Morton Feldman. Ces trois compositions proposent des interprétations très différentes du personnage de Music notamment, mais aussi de l’atmosphère générale de cette histoire « impossible ».
Pour la première fois, chose extraordinaire, Beckett renonce à incarner un personnage, celui de Music, pour confier le rôle à un ensemble instrumental.
Ses indications ont surtout vocation à établir l’arc formel de la pièce, constitué de nombreux éléments musicaux, tant au niveau du texte dit par les acteurs qu’à celui du matériel compositionnel : reprises, variations, redondances…
En écrivant la musique de cette pièce, je me suis moi-même vu comme le personnage de Music. Music ne peut être que moi ! Music, c’est à la fois l’écriture musicale et la façon dont je perçois le texte.
L’argument de Words and Music reprend des thèmes chers à Beckett : le rapport entre maître et serviteur – en l’occurrence ici deux serviteurs –, la difficulté de mettre en relation les différents éléments de l’esprit créatif ; Music et Words ne vont pas bien « ensemble »…
Un espace leur est certes commun, mais ils ont chacun du mal à s’exprimer avec les phonèmes et le langage de l’autre. Par exemple, Words ne chante pas, il « essaie » de chanter, ce qui est bien différent. Music pour sa part veut lui montrer le chemin, l’aider à soutenir sa voix. Mais ses nombreuses tentatives sont vouées à l’échec.
C’est ce qui m’a frappé dans le texte : ces trois personnages font des efforts pour se comprendre, que ce soit entre Music et Words ou entre Croak et Words, mais tout cela semble vain car ils n’ont pas de projet commun.
L’échantillonneur est un instrument majeur de ce dispositif musical, par la palette étendue de sons de synthèse qui arrondissent et modulent le timbre de l’ensemble instrumental, comme par l’interaction qu’il permet avec le jeu des acteurs.
Le texte de Beckett n’est pas seulement constitué de mots et de phrases mais aussi de gémissements, de grognements, de cris et de sanglots que je transforme et soumets à des propositions de temps différé, comme je le ferais d’un instrument. L’intention ici est d’utiliser l’électronique pour élargir et enrichir le potentiel musical de sonorités qui, par ailleurs, appartiennent à l’univers de la langue parlée.
Je traduis parfois les « pauses » indiquées par Beckett par des interventions instrumentales, d’autres fois par de véritables silences ou des silences « sémantiques » – un accord tenu, une résonance ; à savoir une situation où le discours n’évolue pas. Le silence est la ponctuation de cette pièce, qui, rappelons-le, a été conçue à l’origine pour la radio. Un silence, à la radio, est quelque chose d’incroyablement puissant.
Sur scène, lorsqu’il y a un silence, nous voyons un personnage – qu’il soit musicien, chanteur ou acteur – « produire » ce silence. La vision remplit alors ce vide. A la radio, un silence n’est comblé par rien.

 

Photo © Philippe Gontier