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Aaron Copland : Appalachian Spring

Éclairage Par Benjamin Bibas, le 16/04/2015

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En prélude au week-end « Sketches of New York » du 24 au 26 avril 2015 à la Philharmonie de Paris, l’Ensemble jouera le 21 avril un programme « made in USA », entre créations et classique du vingtième siècle en l’occurrence Appalachian Spring d’Aaron Copland (photo ci-dessus – DR) qui sera joué dans sa version originale pour ensemble de treize instrumentistes. Retour sur la genèse et l’histoire de l’œuvre.  
 
Avant d’être une pièce orchestrale d’environ une demie heure récompensée par le Prix Pulitzer en 1945, Appalachian Spring d’Aaron Copland est un ballet créé en 1944 à la Library of Congress de Washington par la compagnie de Martha Graham (1894-1991). « Pour être grand, l’art doit appartenir au pays dans lequel il s’épanouit, et non être la pâle copie d’une forme d’art élaborée par une autre culture ou un autre peuple », écrivait alors la chorégraphe américaine, considérée comme une grande pionnière de la danse contemporaine. Pour rendre compte de l’âme américaine, elle décida, à partir d’un poème de l’auteur romantique américain Hart Crane (1899-1932), de créer une chorégraphie narrative se déroulant dans les montagnes Appalaches, première « frontière » que les colons américains durent atteindre puis franchir dès le XVIIIe siècle dans leur expansion vers l’Ouest. Le ballet retrace l’histoire d’un jeune couple désireux de vivre son amour pleinement au milieu d’une société corsetée de contraintes religieuses. La création originale, mise en scène par l’américano-japonais Isamu Noguchi, rend bien compte de cette lutte fascinante entre les forces de la vie (les jeunes femmes, plutôt en blanc) et celles d’un ordre moral rigide et puissant (le pasteur en noir), la jeune mariée (Martha Graham) semblant se perdre entre les deux.
Appalachian Spring
Pour ce ballet, Martha Graham a commandé une musique à Aaron Copland, grâce au mécénat de la Coolidge Foundation. Copland est alors connu comme programmateur musical – il promeut la jeune musique américaine lors des concerts Copland-Sessions, qu’il organise à New York dès la fin des années 1920, ainsi qu’au Festival de musique contemporaine de Yaddo (Etat de New York) – autant que comme compositeur – il vient de traduire la vie de Billy the Kid en musique dans son ballet ballet Caravan en 1938. Appalachian Spring ne compte originellement que treize instruments, dont neuf cordes, du fait de l’étroitesse de la fosse de la salle des concerts de la Library of Congress. Composée de quatorze mouvements, elle se veut surtout un accompagnement musical et rythmé des saynètes chorégraphiques proposées par Martha Graham. Elle comporte entre autres, dans le septième mouvement, une Shaker Dance (« Danse des Shakers ») dont le thème est donné par la clarinette et dont la mélodie a fait le tour du monde.

Le ballet, mais aussi la musique qui le porte, sont des succès immédiats. Dès 1945, le chef d’orchestre Artur Rodzinski, qui dirige alors l’Orchestre philharmonique de New York, commande à Copland une version orchestrale qui est rapidement jouée en tournée dans tous les Etats-Unis. Mais c’est finalement le cinéma qui popularise le plus ce « Ballet for Martha » (sous-titre de l’œuvre de Copland) : en 1958, Martha Graham se lance dans la production d’un véritable ballet filmé où les mouvements de caméra comptent autant que ceux des danseurs. La réalisation en est confiée à Peter Glushanok, le cinéaste qui avait réussi un an plus tôt le très admirable A Dancer’s World, chef d’œuvre du film de danse où la chorégraphe explique exemples à l’appui comment l’engagement en danse ne peut qu’amplifier et transformer la vie. Pour cette version cinématographique d’Appalachian Spring, c’est la musique originale de la musique de Copland, à treize instruments, qui est choisie. Produit à l’époque de l’âge d’or de la comédie musicale américaine, ce film est une occasion moins hollywoodienne mais parfois plus belle encore de voir se conjuguer les talents musicaux, chorégraphiques et cinématographiques de trois grands artistes américains de leur temps.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur la façon dont cette pièce de Copland a marqué son époque et fasciné des générations d’auditeurs et d’artistes américains. Les lecteurs curieux pourront découvrir cette oeuvre plus avant en écoutant l’émission passionnante que lui a consacrée la National Public Radio (NPR) des Etats-Unis. Ils pourront surtout se rendre au concert du 21 avril 2015 où l’Ensemble intercontemporain interprétera la version originale à treize instruments d’Appalachian Spring au côté de deux œuvres de jeunes compositeurs américains.