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Entretien avec Susan Graham, mezzo-soprano

Entretien Par Jéremie Szpirglas, le 23/12/2013


En ce début d’année 2014, l’Ensemble intercontemporain accueille une invitée de marque, Susan Graham, pour une tournée du 11 au 16 janvier qui passera par Amsterdam, Paris et Anvers. La célèbre mezzo-soprano chantera les Lieder eines fahrenden Gesellen de Gustav Mahler et le Lied der Waldtaube d’Arnold Schönberg. Elle nous livre ses impressions et réflexions sur ce programme hanté par l’héritage wagnérien.
Cette tournée sera votre première collaboration avec l’Ensemble intercontemporain ?

Je suis très enthousiaste à l’idée de travailler avec l’Ensemble intercontemporain, qui a derrière lui une histoire si prestigieuse, depuis Pierre Boulez jusqu’à aujourd’hui. En outre, je travaille fréquemment avec Pablo Heras-Casado, l’alliance des deux me fait donc très plaisir. Surtout dans ce répertoire.
Avec les Gurrelieder d’Arnold Schoenberg et les Lieder eines fahrenden Gesellen de Gustav Mahler, une figure musicale semble dominer ce programme, sans y être concrètement présente : celle de Richard Wagner…
Je n’ai jamais chanté Wagner ! Et je ne sais pas si j’en chanterai un jour : c’est d’ailleurs l’un de mes rêves. Peut-être ce programme sera-t-il un tour de chauffe pour m’attaquer ensuite à Wagner ? Si je m’en sors bien, et notamment dans le Schoenberg, je pourrai peut-être envisager de chanter Kundry — j’ai en effet le sentiment que les Gurrelieder ne sont pas sans présenter quelques similitudes avec ce rôle de Parsifal.

Avez-vous déjà chanté ces deux œuvres ?
J’ai déjà chanté une ou deux fois les Lieder eines fahrenden Gesellen de Gustav Mahler, mais jamais les Gurrelieder de Schoenberg. C’est une partition très difficile, et assez intimidante, mais j’ai hâte de la découvrir.  Je viens à peine de commencer à travailler ce Lied der Waldtaube, et je ne peux donc pas vraiment en parler. Au reste, j’ai le sentiment que ce n’est que lors de l’exécution d’une œuvre qu’on découvre véritablement ce qu’elle recouvre. Pour l’instant, tout est un peu brumeux et vague.
C’est toujours très excitant d’aborder ainsi une nouvelle œuvre. J’aime partir à l’aventure dans un nouveau contexte dramatique, dans un nouveau langage musical. Ce Lied der Waldtaube est une musique très impétueuse, l’écriture de Schoenberg y est immédiatement expressive. Ce ne sont pas les longues envolées lyriques à la Mahler, mais plutôt de courts éclats musicaux. De ce point de vue, c’est un processus d’apprentissage passionnant pour moi, et un véritable défi : j’ai hâte d’entendre comment ces différents éclats s’enchaînent, s’assemblent et trouvent une cohérence.

Comment travaillez-vous des œuvres comme celles-ci ?
D’habitude, lorsque je travaille une nouvelle pièce, je me mets au piano et je la joue, pour me familiariser avec le langage musical. Ici, c’est bien trop difficile pour moi. Je la prends donc morceau par morceau. J’apprends la ligne vocale, j’en mémorise notamment les intervalles. Puis, lorsque je serai suffisamment sûre de moi, j’engagerai un pianiste pour m’accompagner. Je peux en effet, en lisant la partition, comprendre comment ma partie s’intègre à l’harmonie globale, mais cela ne suffit pas pour s’approprier une œuvre.

Connaissez-vous la transcription que Eberhard Kloke a réalisée des Lieder eines fahrenden Gesellen de Mahler et que l’Ensemble jouera ?
Je n’en connais qu’un enregistrement, je ne peux donc pas véritablement en parler. Mais je les ai déjà chantés dans leur version originale. J’aime Mahler et j’adore chanter sa musique : j’ai chanté les Rückert-Lieder, Des Knaben-Wunderhorn, Das Lied von der Erde… Les Lieder eines fahrenden Gesellen sont particulièrement poignants, car ils évoquent un amour perdu, et la manière dont on peut le surmonter — ou pas. Mahler a un talent tout particulier pour traiter le sujet et ces Lieder sont une formidable exploration de ce maelström affectif. Et les mélodies sont si belles !
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Photographie DR