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Ulrich Kreppein, Départ

Entretien Par Jéremie Szpirglas, le 08/11/2013


Départ. C’est le titre de la nouvelle œuvre du jeune compositeur allemand Ulrich Kreppein. Une création au long cours que son auteur décrit comme « un vaste labyrinthe circulaire ». Elle sera présentée pendant le  concert du 29 novembre 2013 au Centre Pompidou.
Ulrich Kreppein, l’œuvre que l’Ensemble intercontemporain créera le 29 novembre au Centre Pompidou s’intitule Départ. Près d’un tiers des pièces de votre catalogue sont titrées en français dans le texte. Pourquoi ?
Dès mes débuts en Allemagne, la musique française m’a beaucoup intéressée (celle de Ravel ou des spectraux, bien sûr, mais pas seulement), de même que la poésie et le cinéma français — je suis un véritable francophile. J’ai d’ailleurs essayé à plusieurs reprises de venir me former en France, mais cela était administrativement compliqué et j’ai finalement fini mes études aux Etats-Unis, à l’Université Columbia de New York, auprès de Tristan Murail.
La musique de Tristan Murail, et plus généralement la musique spectrale, ont d’ailleurs joué un rôle important dans mon cheminement esthétique. Quatre chants pour franchir le seuil de Gérard Grisey a été à cet égard l’une des œuvres qui ont le plus compté pour moi. Pendant mes études, les programmes des concerts que j’allais écouter à Stuttgart étaient en effet partagés entre deux des principales orientations de la scène musicale allemande : l’une plutôt néo-romantique ou néo-classique, et l’autre se réclamant de l’avant-gardisme de Darmstadt. À l’époque, je ne me reconnaissais pas dans le didactisme de la musique avant-gardiste et je me sentais plus proche d’un Rihm ou d’un Manfred Trojahn (qui était mon professeur).
Cependant, la découverte de l’œuvre d’Helmut Lachenmann m’a ouvert les yeux sur la proximité de ces deux courants esthétiques, en dépit des apparences. Tout deux sont en effet héritiers de la même tradition sémantique, qui a cours dans toute la musique allemande. En outre, ni l’une ni l’autre ne présentaient à mes yeux une approche convaincante de l’harmonie. C’est dans le concept de processus, développé par les spectraux, que j’ai trouvé une forme de synthèse entre tous ces univers — ceux qui reposent sur une structure intrinsèquement musicale (comme la musique spectrale) et ceux qui approchent le matériau du point de vue de la sémantique.
Pour revenir à votre question, un détail intéressant : lorsque je me suis installé aux Etats-Unis pour mon doctorat, les titres en allemands sont redevenus majoritaires — comme pour combler un manque lié à l’éloignement…
Quelle place occupe Départ dans votre parcours ?
Une place à part, pour plusieurs raisons. D’abord par sa très longue période de maturation. À l’accoutumée, quand je commence une partition, je la finis dans la foulée. Ici, non. J’ai entamé l’écriture de cette pièce alors que j’étais encore dans la classe de Tristan Murail à New York, en 2003-2004, lorsque j’ai composé Verwandlungen im Spiegel (2003) pour ensemble, pour un concert à Berlin. Mais j’avais un sentiment d’inabouti. Il y avait là — notamment dans le passage central — un matériau musical et des sonorités que je trouvais passionnants, qui côtoyaient des moments et des gestes que je trouvais très mal écrits. J’ai toujours su qu’il me faudrait un jour remettre l’ouvrage sur le métier, pour écrire une œuvre à la hauteur, plus intéressante et plus vaste, à partir de ce matériau premier. C’est ce que j’ai fait, beaucoup plus tard, entre 2008 et 2010. Mon langage musical avait considérablement évolué dans l’intervalle.
L’importance de Départ dans mon catalogue vient également du changement qu’elle marque quant à ma manière d’envisager l’écriture de la forme. Jusque-là, j’écrivais de manière linéaire : en commençant par le début et en finissant par la fin, je pensais la forme comme un flâneur qui peut aller dans une certaine direction, puis faire volte-face et s’engager sur un autre chemin — sans cette idée que je trouve toujours un peu irréaliste d’un développement téléologique, qui irait d’un point à un autre de manière irréversible. Dans Départ, j’ai commencé par le milieu (à partir de l’extrait de Verwandlungen im Spiegel) puis j’ai écrit d’autres instants autour. La forme finale n’est venue que très tardivement, ce qui m’arrive de plus en plus aujourd’hui lorsque j’entreprends une nouvelle pièce.

Le titre, Départ, fait-il référence à cette maturation un peu particulière du matériau ?
Oui. Parce que sa composition prend sa source dans une œuvre antérieure. Et ce point de départ, ce matériau préexistant, porte en germe de nombreuses possibilités de développement, dans diverses directions, que je peux suivre ou non.
Le titre fait aussi référence à la forme de la pièce : à l’écoute, on a le sentiment de toujours revenir à ce point de départ. À chaque nouveau développement, à chaque nouvelle direction empruntée, on croit avoir définitivement quitté ce lieu originel, mais on y est inlassablement ramenés, et toujours plus rapidement. On cherche à fuir. En vain. Départ est un vaste labyrinthe circulaire et sans issue.
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Photographie DR