Afficher le menu

Rondeau sauvage. Entretien avec Arnulf Herrmann

Entretien Par Martin Kaltenecker, le 19/11/2013


Un rondeau peut-il être sauvage ? Pour le compositeur allemand Arnulf Herrmann la réponse est oui. Il s’explique sur son rondeau sauvage, une nouvelle œuvre qu’il présentera le 29 novembre 2013 au Centre Pompidou dans le cadre d’un concert marquant l’anniversaire de la Fondation Ernst von Siemens pour la musique.

Arnulf Herrmann, vous avez été formé par des personnalités très différentes. Vous avez travaillé avec Wilfried Krätzschmar, à Dresde, avec Emmanuel Nunès et Gérard Grisey, à Paris, puis avec Friedrich Goldmann et Hanspeter Kyburz, à Berlin. Quelles ont été finalement les expériences déterminantes pour vous ?
Le sait-on soi-même ? Il me serait difficile de dire que tel compositeur a été plus important que tel autre… Ce qui est plutôt central chez moi, si j’y réfléchis, c’est un mouvement de va et vient, ou qui tournerait autour d’une certaine tradition que j’essaie de développer, mais celle-ci ne se résume pas vraiment à des noms de compositeurs isolés, c’est un champ dans lequel je circule. Et dans ce que vous disent professeurs, très souvent les subordonnées et les incises deviendront plus importantes que les phrases principales. Si je vous dis par exemple que j’ai étudié un an avec Grisey et Nunès, ce qui fut important et formateur ce ne sont pas leurs deux styles respectifs, mais justement le choc en moi de ces deux personnalités si fondamentalement différentes… ce qui implique en même temps une relativisation de ces influences majeures. Les maîtres vous aident à aborder certaines problématiques, à formuler des questions, ce qui se réalise aussi à travers une approche de l’histoire de la musique ou la lecture de textes musicologiques, par exemple ceux de Carl Dahlhaus qui a eu dans mon cas une fonction extrêmement importante.

Votre création s’intitule rondeau sauvage. Le rondeau (ou « rondo » dans sa forme instrumentale), très en vogue au XVIIe siècle reposait sur une structure fixe, point de départ des variations. C’était une forme simple et populaire. Chez vous, elle se complique sensiblement…
Il y a en effet une problématique spécifique à cette forme mais vous rencontrez déjà une autre dramaturgie avec le rondo-sonate à la fin du XVIIIe siècle. Dans la musique classique, le rondo, en tant que forme à juxtaposition, se rapprochait de la forme à variations, considérée comme un genre inférieur. Chaque compositeur écrivait un jour ou l’autre des variations où il s’en tenait aux schémas harmoniques et mélodiques standards – et soudain il y a les Variations Diabelli qui en font exploser le principe même. C’est là où je vois un énorme potentiel dans ce type de formes – le jeu entre identité des parties et dramatisation de la forme globale.

Rondeau sauvage illustre chez vous la problématique de l’ordre et du désordre ?
Ou bien entre stabilité et instabilité. Cela a en effet l’air d’un schéma très abstrait, mais en vérité cela ouvre énormément le processus de composition. On n’a pas une forme à juxtaposition, où tout s’enchaîne simplement ; j’ai été entraîné dans un véritable labyrinthe qui m’a procuré un grand plaisir puisque je naviguais toujours entre deux niveaux, chaque section est double en somme. Et en même temps, il fallait garder à l’œil la croissance de la pièce entière. C’est comme une combinaison entre une forme rigoureuse et une prolifération qui provient des réactions des parties entre elles. D’où le côté sauvage : cet aspect-là n’était pas formalisable ou prévisible à l’avance. C’était d’ailleurs très épuisant à écrire, parce j’avais tout un écheveau de fils entre les mains et il ne fallait pas les perdre : je n’aurais vraiment pas pu me permettre d’interrompre la composition plus d’une semaine, sinon je perdais ce réseau de relations très riches.
Voir aussi le reportage vidéo sur la création de cette œuvre :

 
———————-
Portrait Arnulf Herrmann / DR  – photographie répétition ©Luc Hossepied pour l’Ensemble intercontemporain