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Les Bestiaires de Salvatore Sciarrino

Grand Angle Par Laurent Feneyrou, le 19/11/2012


Un « mur » qui serait soumis à la plus grande ouverture possible, « l’horizon » : tel est le paradoxe énoncé dans le titre de l’œuvre de Salvatore Sciarrino, Muro d’orizzonte [Mur d’horizon], donnée ce 21 novembre à la Cité de la musique par les Solistes de l’Ensemble intercontemporain. Paradoxe fertile pour un compositeur à l’écoute de la rumeur du monde, tel que le musicologue Laurent Feneyrou nous le présente ici.
Ce texte est extrait d’une monographie sur l’œuvre de Salvatore Sciarrino à paraître (Paris, CDMC, mai 2013).
 
« Je suis ici et maintenant : qu’est-ce que j’entends ? Toutes mes compositions viennent de cette question » (Salvatore Sciarrino)

L’œuvre de Salvatore Sciarrino accueille volontiers les rumeurs du monde, de sorte que l’origine de l’expérience esthétique, musicale, est souvent une connaissance sonore de ce qui nous entoure, d’un milieu : « Je suis ici et maintenant : qu’est-ce que j’entends ? Toutes mes compositions viennent de cette question ». Une anthropologie et une phénoménologie en résultent. Qu’est-ce qu’écouter ? Et qu’écoutons-nous ? Des éléments d’abord : des pierres, la mer ou la pluie, et le vent, où le son blanc est déjà galet concassé ou ressac, écume salée, exsudation de la mer, « sueur de la terre » selon les termes ancestraux d’Empédocle, est déjà souffles et tempêtes, où l’onde dessine la forme même de l’œuvre et où les brisants s’offrent comme l’abstraction d’une savante géométrie musicale : Addio case del vento (1993), pour flûte, Due risvegli e il vento (1997), pour soprano et ensemble, Waiting for the Wind (1998), pour voix et gamelan, Lettera degli antipodi portata dal vento (2000), pour flûte, Scena di vento (2004), pour ensemble, Vento d’ombra (2005), pour ensemble, parmi d’autres titres.
Nous écoutons aussi des herbes et des fleurs, comme hors du temps : Il giardino di Sara (2008). Ou les herbes folles qui envahissent la villa que le ministère des Cultes met à la disposition des amants dans Lohengrin (1982-1984). Ou encore le jardin, déjà menaçant et bientôt délétère, de Luci mie traditrici (1997-1998), là où les roses nous fascinent car, entrant et sortant de la chair, la perçant, nous promettant la blessure, le saignement et la gangrène.
 
Une zoologie illusoirement réelle

 
Mais nous écoutons aussi un chien, un merle, un rossignol, une volière, le battement d’ailes d’un papillon, des grillons et autres insectes : la musique, ce sont ces bruits de la nature – le son comme signal, au sens presque animal du terme, et que nous partageons avec le monde vivant. Salvatore Sciarrino peuple son œuvre d’une zoologie illusoirement réelle.
Écoutons la scène V de Luci mie traditrici.
Une continuité s’établit entre le minéral, le végétal, l’animal et l’homme, car nous écouterons aussi les battements de notre cœur, angoissé ou tout à ses voluptés, de même que notre respiration, dans un ambitus qui s’étend de sa suspension, sous l’effroi, au halètement.
Une histoire de l’animal musicien et une histoire de la musique à hauteur de l’animal seraient sans doute à écrire – le sujet s’avérerait étonnamment riche. Au regard de l’œuvre de Salvatore Sciarrino, une telle histoire remonterait à la Renaissance : un chant d’oiseau et son imitation dans l’instrument ou la voix y existeraient désormais dans le même temps de l’écoute. Et la musique se ferait le seul langage, avec la sculpture, susceptible d’imiter, sinon de reproduire, la réalité – réalité visuelle et tactile dans un cas, sonore et tactile dans l’autre.
Un exemple : le Linquo coax ranis de Petrus Gallus.
Là, bien sûr, est imité l’animal, mais il l’est en un double sens.
D’abord, par l’intervalle musical : les exemples de coucou ne manquent pas dans l’histoire de la musique, avec son intervalle de tierce caractéristique. Mais qu’il est étonnant que le coucou sache autant notre contrepoint et qu’il se plie à ce point à nos harmonies…
Ensuite, par le verbe : le coax dans le cas de la grenouille de Gallus, qui trouva le texte de sa composition dans un distique élégiaque du Carmina proverbialia. En somme, c’est le verbe, la nomination du son de l’animal, qui détermine notre perception de l’imitation.
 
Imitation et rhétorique musicale


À l’époque, l’imitation de l’art oratoire, attentive à la déclamation, à la place des césures et à l’accentuation des mots, et plus encore au sentiment humain, à l’affect et au concetto non plus céleste mais désormais terrestre, de ce que la rhétorique grecque avait nommé la deinotès, l’habileté, le talent oratoire ou la maîtrise des styles, annonce le théâtre musical auquel Monteverdi donnera bientôt vie, au moment même où l’usage de la langue vulgaire se développait parallèlement au latin, langue officielle des traités et des classes dominantes. Une rhétorique musicale appliquée développait des figures, schemata, exprimant et représentant des affects, en référence à un mot, à une strophe ou au scopus du texte entier. Comme l’écrit Arnold Schmitz : « En restituant fidèlement, par leurs propres moyens, le sens littéral du texte, et en exprimant intelligiblement les affects, ils se fondaient sur la rhétorique. Par analogie avec les figures rhétoriques, ils utilisaient des figures musicales, homonymes, dont le sens était le même, ou d’autres figures, et les adoptaient pour élargir le sens du mot et exprimer les affects ». Le rapport entre texte et musique reposait sur une analogie entre une symbolique figurative et musicale, et l’élément sémantique du mot, schématisé en une figure rhétorique, le contenu et l’affect du texte entendant alors devenir le sens même de la musique.
Joachim Burmeister, dans sa Musica poetica (1606), analyse en termes musicalo-oratoires dix périodes du motet de Roland de Lassus, In me transierunt, en termes d’exordium, d’hypotyposis, consistant à rendre vivants les faits évoqués, d’anadiplosis (redoublement, répétition), de noèma (intention, projet, dessein) dans une déclamation homophone, de mimèsis (reproduction, figuration), de pathopoeia, excitant les passions, « comme si le son disparaissait sous l’insistance du mouvement de l’âme » et aspirait à son épuisement, et d’auxesis (amplification), tel un épilogue. Mimésis et rhétorique, de concert, se nouent.
 
Le merle selon Olivier Messiaen
 



 
Autre exemple : le « Merle noir » des Petites Esquisses d’oiseaux d’Olivier Messiaen.
Le projet de Messiaen est, avant tout, encyclopédique, résultant d’une collecte (soucieuse des contextes de relief, de lumière, d’ombre, de couleurs, d’odeurs, de sensations thermiques : du paysage) et d’une classification systématique, à l’exemple des faunes et des flores dans la tradition de Buffon. Et Messiaen de décrire les espèces, leurs mœurs, leur plumage et leur ramage… Les deux tomes consacrés aux chants d’oiseaux dans le Traité de rythme, de couleur, et d’ornithologie se divisent par pays : la France, pour le premier ; le Japon, les États-Unis d’Amérique ou la Nouvelle-Calédonie, pour le second. Quant aux chants des oiseaux de France, leur classification est établie par strictes zones géographiques, selon un mouvement descendant des cimes à la mer : haute montagne, forêts de montagne, monticoles, bois, routes de campagne, vignes, prés et champs, jardins et parcs, villes, déserts, garrigues et maquis, roseaux, étangs, bords de rivières et terres salées, océans et côtes marines.
Il s’agit stricto sensu d’un catalogue d’oiseaux.
Mais si les oiseaux respectent le style et l’esthétique propre à leur espèce, s’ils n’ont pas varié au cours des siècles, à l’inverse de la « musique humaine » qui n’a cessé d’évoluer, il en résulte une certaine permanence, dont le substrat, chez Messiaen, est fondamentalement religieux – et d’essence franciscaine. Bien sûr, l’invention musicale de l’animal ne saurait être mésestimée, avec ses roulements, ses trilles, ses batteries de sons disjoints, ses arpèges, ses glissandi, ses sons liés et piqués, ses micro-intervalles, ses permutations, ses mouvements rétrogrades, ses Klangfarbenmelodien…, que Messiaen saisit par les neumes du plain-chant, les modes européens et exotiques, les rythmes grecs et hindous. Mais la permanence du chant trouve son commencement et sa fin dans la foi, telle que l’exprime saint Bonaventure, cité par Messiaen en exergue de son traité : « Toutes les créatures du monde sensible nous conduisent à Dieu : elles sont les images de la Source, de la Lumière, de la Plénitude éternelle, du Souvenir Archétype. Ce sont des signes qui nous ont été donnés par le Seigneur lui-même ».
Commenter le « Merle noir », ce serait, avec Messiaen, partir du modèle naturel, de cet oiseau des bois, de la lisière des forêts, mais aussi des villes, des jardins, des parcs et des squares. Ce serait aussi, mais sans Messiaen, analyser les modalités de la transcription, du catalogage et de l’inscription du modèle naturel dans l’œuvre. Nous nous attarderions enfin, avec Messiaen à nouveau, sur la capacité d’imitation des oiseaux, sur leur aptitude à reproduire des bruits de la nature (gouttes d’eau ou choc de branche cassée) et à emprunter un thème à une autre espèce en le transformant. Nous atteindrions alors une imitation au carré.
Le merle selon Salvatore Sciarrino
En quoi Salvatore Sciarrino se détache-t-il de ces deux modèles, comme il se détacherait aussi, sans doute, de Janequin ou de l’oiseau du Siegfried de Wagner ? Pourquoi donc ne nous vient-il guère à l’esprit ni de partir du mot ni de remonter au modèle naturel ? Deux raisons, à mon sens, doivent être soulignées, pour un début d’explication.
1. La torsion, d’abord : c’est un oiseau comme de travers, presque fantasque, froid mais incandescent, recherché, précieux, gourmé, curieux, déconcertant, tout à son oblicité. Peu importe ici que cette torsion manifeste la nature essentiellement baroque de l’art de Salvatore Sciarrino, ses séismes, sa variété rythmique et ses textures où le mouvement est permanent, absolu, canonique, nous entraînant dans un sens ascensionnel ou dans une vertigineuse chute, et où le geste se plaît à sa gestualité, comme la musique à ses ornements.
2. Le merle de Luci mie traditrici, car c’est d’un merle qu’il s’agit ou plus exactement d’une flûte-merle, est gauchi. Il ne donne pas absolument les intervalles de l’oiseau-merle. Il n’en a pas davantage le timbre ou les rythmes, et à peine la dynamique et le contour.
Et d’ailleurs qu’a-t-il du merle ?
Il n’est pas un merle, mais une vision du merle, une phantasia de merle. Je m’interroge encore pour savoir si l’on pourrait avancer la notion de « merlité », si vous m’autorisez ce peu élégant néologisme, l’idée d’un être-merle. Assurément, il en a le monde, le respir comme disent les poètes, le souffle, le chant, l’air, le battement d’aile, la volatilité. Mais ce monde, est-ce le sien propre ou celui que Salvatore Sciarrino lui prête ou concède ?
Dans une notice d’introduction à D’un faune (1980), pour flûte et piano, dont je dois à Grazia Giacco la transcription – une œuvre au climat ouvert, archaïque, suscitant la panique par les râles féroces qui la peuple –, Salvatore Sciarrino écrit : « Réalisme et illusionnisme sont des concepts fondamentaux pour comprendre cet éloignement [straniamento, étrangeté, extranéité, voire, si le mot n’était pas si riche d’échos brechtiens, « distanciation »] caractéristique de ma musique, qui la rend magique. […] La quatrième dimension, fantastique, a une base fortement réaliste, comme l’histoire en témoigne depuis toujours. Cela doit être compris relativement à la reproduction des événements sonores, mais aussi à leur situation psychologique au sens le plus complexe, parce que je vise à déterminer de véritables associations ambiantes, plus fortes que les associations simplement visuelles. Il est ainsi possible, à travers les différents états émotifs de ces associations de parcourir tout l’ambitus des analogies et interférences, jusqu’à pénétrer dans le trouble réciproque entre stimulus et association convenue, jusqu’à une dissociation des contextes – selon la technique surréaliste ».
Du modèle naturel au simulacre musical
 



La nature est un environnement sonore dont le réalisme, chez Salvatore Sciarrino, est pris dans un illusionnisme. Si Sciarrino renoue avec l’artifice de l’imitation, il mesure sans cesse la distance du modèle naturel et trouble la distinction entre ce modèle et le simulacre. Vanitas (1981), nature morte en un acte, déploie la gigantesque anamorphose d’une vieille chanson. Anamorfosi (1980) titre explicitement une pièce pour piano. Ou encore : Variazione su uno spazio ricurvo (1990), pour piano. Autant de songes, mirages, subterfuges optiques, qui procèdent par interversion des éléments et des fonctions, qui opèrent une saisissante dilatation du temps, une projection des formes hors d’elles, et où l’apparent éclipse le réel. Écouterions-nous donc une anamorphose de merle ?
De ces « perspectives dépravées », curieuses, ralenties ou inversées, Jurgis Baltrusaitis écrivait : « L’anamorphose est un rébus, un monstre, un prodige ». Dans le séminaire Les Quatre Concepts fondamentaux de la psychanalyse, cité par Salvatore Sciarrino dans Cailles en sarcophage (1979-1980), Jacques Lacan, reprenant le commentaire que Baltrusaitis donna des Ambassadeurs de Hans Holbein, introduit la notion de perspective géométrale, comme repérage de l’espace, mais possiblement hors de la vue : « Au cœur même de l’époque où se dessine le sujet et où se cherche l’optique géométrale, Holbein nous rend ici visible quelque chose qui n’est rien d’autre que le sujet comme néantisé ». D’après Nicéron, l’anamorphose, ce thaumaturgus opticus d’un regard fondamentalement mélancolique, désigne, dans sa modernité, l’émergence du simulacre et l’affirmation de ses droits. L’écart du faux prétendant et les déviances introduisent la subversion, recèlent une puissance qui nie et l’original et la copie, et le modèle et la reproduction. Celle-ci s’immisce et s’insinue partout, dans l’écriture, simulacre en soi, et dans l’écoute. « Le concept bourgeois de descriptisme fuit la réalité impossible à imiter, craignant que le faux soit confondu avec le vrai, l’idée de l’ange doublé du démon. Les incarnations du double, les apparitions dans le miroir, la folie, Protée sont les indices de notre peur ». Protée, on le sait, fut un dieu de la mer doué du pouvoir de se métamorphoser en toutes formes, en animal, en végétal ou en l’un des éléments, feu ou eau.
Avançons encore d’un pas : non seulement le modèle est gauchi, mais il est absent.
Non loin de l’animal, comme de tout ce que Salvatore Sciarrino donne à entendre, est un miroir. Comme il l’écrit de son opéra Amore e psyche (1971-1972) : « Une caractéristique des figures psychiques est leur capacité à se dédoubler, autre caractéristique du mythe ; pour les Anciens, cela, comme du reste le polymorphisme, avait en soi quelque chose d’infernal ».
Le miroir ouvre à ce dédoublement infernal
Si l’éclat de l’horizon consume l’écoute, le reflet renvoie l’image non à la vision directe, mais à une essence seconde. Aussi le miroir traverse-t-il l’œuvre de Salvatore Sciarrino, depuis Aspern (1978), singspiel en deux actes : Introduzione e Aria « Ancora il duplice » (1971), pour mezzo-soprano et orchestre, Canto degli specchi (1981), pour voix et piano, ou Lo specchio infranto (pulvis stellaris), quatrième scène de Vanitas. Dans Perseo e Andromeda (1990), la fille de Cassiopée contemple ses lèvres et ses yeux dans une flaque bientôt troublée par des nuées pluvieuses. « Miroir de la mer », écrit un haïku de Matsuo Bashô, sur lequel débute un livre de Madrigali (2007) aux tendances maniéristes, et dont la seconde partie est un miroir, mais infidèle, de la première. Et dans la dernière scène de Luci mie traditrici, l’instant du meurtre est celui de l’âme réfléchie : « Voulez-vous que je meure ? – Mirez-vous dans le lit. – Y a-t-il un miroir ? – Plus fidèle que tout verre étamé ». Le miroir est ici l’emblème de la contemplation. Ainsi se fait jour la distinction séculaire entre un miroir trompeur et fallacieux, celui de l’apparence et du fantasme, celui de l’eau stagnante qui dénature les choses en les montrant autrement qu’elles sont, et un miroir où se reflète l’image dans la magnificence de sa lumière, celui de la philosophie ou de l’anamnèse, celui en lequel nous nous souvenons de l’âme, de la vertu et de la perfection, en quête résolue de soi-même.
« La force d’un langage est sa capacité de représentation : susciter de pures illusions » (Salvatore Sciarrino)

Le miroir manifeste ce que nous pourrions appeler, empruntant au grec, la nature phénoménique de la réalité : phainomena, en tant qu’absence, négation, sans la consistance de la chose qui est vraiment. Là où cette chose se montre, non la chose vraie, en soi, non la vérité de la chose dans sa présence, mais sa latence, comme s’il ne nous était donné de voir que des reflets, une atténuation, dans la distance. Cela, la sagesse grecque antique l’exprimait dans l’énigme du miroir de Dionysos, une énigme qu’a magistralement commentée Giorgio Colli.
Le monde devient un jeu de miroir, un monde comme représentation : « Trop souvent, l’invention musicale recherche sa propre raison d’être sur scène. On oublie que la force d’un langage est sa capacité de représentation : susciter de pures illusions ». Lohengrin, ce drame de l’écoute, préconise un rideau entre la scène et la salle, car les sons seuls y représentent. Une inflexion évoque un paysage, sinon un monde, et invite à la visualisation d’images acoustiques, à une perspective géométrale. Peu d’action, mais l’intériorisation du théâtre et de ses règles dans la musique : « Les sons sont déjà théâtre. Ils n’ont pas besoin d’être illustrés, ni d’être vêtus d’une image : ils ont leur propre image ». Avec Lohengrin, cette musique, désormais théâtrale, se transforme en ce que sent et perçoit le personnage, qu’elle imite. Brûlant la réalité sur leur surface plane, de tels miroirs trompent encore. Misère de la créature.
Il en sera ainsi du vol d’oiseaux, des cailles de Lohengrin.
 
 

 
Si, comme l’œil, l’oreille est miroir, notre condition est inexorablement celle de Narcisse, la figure platonicienne, puis plotinienne de la Belle Image portée sur les eaux, poursuivant reflets et simulacres vains, l’incarnation de celui qui confond leurre et réalité : Raffigurar Narciso al fonte (1984), pour deux flûtes, deux clarinettes et piano. Qu’est-ce qui est en vérité ? Qu’est-ce qui n’est pas image, miroitement ? Les miroirs ne dévoilent ni ne révèlent l’absence, mais en témoignent en soi et, angoissés, inassouvis, excitent la convoitise.
Ce que les Wunderkammern de l’âge maniériste et baroque, ces cabinets d’érudits et d’amateurs entassant les merveilles les plus disparates, renvoient avec une infinie fertilité : monstres empaillés, objets rares, curiosités naturelles, instruments de perspective, tableaux de maîtres, ou, chez Salvatore Sciarrino, reconnaissant volontiers son « collectionnisme », fragments archéologiques polis par les flots, pièces de monnaies grecques et romaines, squelettes de navires en miniature, d’époque ancienne ou du présent, peintures et dessins, plumes, coquillages… « Cela explique qu’il faille régulièrement libérer ma maison d’un excès de sensibilité figurative et de passion antiquaire ». Le miroir est devenu force démiurgique.



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Crédits photographiques
Portraits de Salvatorre Sciarrino ©Philippe Gontier
Photographie oiseau sous cloche © Nicolas Havette pour l’Ensemble intercontemporain
Photographie Miroir renversé © Joan Braun pour l’Ensemble intercontemporain
Illustrations : DR
Article publié avec l’aimable autorisation du CDMC