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Trois questions à Stefan Keller et Frédéric Kahn

Entretien Par Jéremie Szpirglas, le 23/03/2012


Übersteiger (photo ci-dessus) du compositeur suisse Stefan Keller et Unendlichkeit du Français Frédéric Kahn seront créées par les solistes de l’Ensemble intercontemporain le 5 avril au Centre Pompidou. L’occasion de leur poser  trois questions sur leur œuvre.
 

Stefan Keller (photo), que signifie en allemand le titre Übersteiger ?
La signification première est très simple : le mot vient de l’univers du football et désigne la technique du passement de jambe. C’est un mouvement de la jambe autour du ballon qui a pour but de plonger l’adversaire dans la confusion et de lui faire croire qu’on va jouer dans la direction opposée de celle qu’on entend prendre. Bref, c’est une feinte.
Pourquoi ce titre ?
Parce que, en allemand, le mot Übersteiger se rapproche, phonétiquement, de mots très similaires comme le verbe übersteigen (littéralement : suraugmenter), lequel appelle nombre d’associations d’ordre philosophique. Übersteigen, en effet, c’est dépasser, surmonter, sublimer. Ce choix de titre est donc une manière de me moquer un peu des titres à aspirations philosophiques (ou transcendantes) en détournant le mien vers le monde très primitif du sport.
Ce titre est donc lui-même une feinte ? Un Übersteiger ?
Exactement. Même si je n’accorde que peu d’intérêt à mes titres, mon écriture joue beaucoup autour l’idée de feinte et ma musique est d’ailleurs parsemée de ces surprises.
 


Frédéric Kahn (photo), votre pièce s’intitule Unendlichkeit, en allemand Infinité : pourquoi ce titre ? Quelle « infinité » convoquez-vous ici ?
En fait, l’« infinité » s’entend ici dans tout les sens du terme : comme l’avant et l’après exécution de l’œuvre, mais aussi comme l’infinité des possibles dans l’exploration de la matière sonore (froissements, bruissements, déchirements), fixée ou déployée en temps réel, qui accompagne l’instrument soliste.
Les sons irriguent les imaginaires et creusent de profonds sillons. Leur orchestration permet de se glisser dans le tressage des lignes afin de faire jaillir une matière sonore toujours mouvante et colorée, dans un souffle ample, aux enchevêtrements charnels et aux fulgurantes échappées.
Dans votre texte explicatif, vous parlez des Equales ou Equali « communément exécutés pendant les cérémonies funèbres ». Pourquoi cette référence ?
La référence à la cérémonie funèbre participe bien sûr de l’« infinité » évoquée par le titre. Mais elle s’applique également à l’écriture musicale, dans la manière de travailler les timbres de l’électronique en temps réel, et notamment dans la façon dont l’électronique scrute la matière sonore : cela me permet de mettre en scène les zones de fusion et de complémentarité au sein même de l’orchestration des parties électroniques.
Cette référence sous-entend-elle également une dramaturgie ?
Il y a bien évidement une dramaturgie dans cette partition — la réalité est une énigme ; comment « ce qui s’est passé » vient-il jusqu’à nous ? Où la mémoire noue-t-elle ses fils conducteurs ?
On trouve aussi dans Unendlichkeit une conception intuitive d’une croissance organique dont les lois d’évolution résultent du processus lui-même.
Le sens émergera peu à peu dans l’œuvre, et l’électronique y jouera un rôle fondamental, en donnant par exemple à entendre ce qui ne peut l’être, et en provoquant le passage d’un état du langage à un autre. Au cours de la partition, le doute ultime s’apaisera et une certitude exaltée prendra peu à peu possession de l’interprète (Paul Riveaux – photo ci-dessous).
À l’origine, le travail du plasticien Michel Verjux, un artiste contemporain connu pour ses installations lumières, devait venir dialoguer avec la musique. Cela n’a pas pu se faire pour l’instant, mais peut-être dans un second temps, pour une nouvelle vie de l’œuvre…


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Photos : Luc Hossepied