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Entretien avec Johannes Boris Borowski

Entretien Par Laure Gauthier, le 08/03/2012



Second, de Johannes Boris Borowski sera créée le 19 mars à Fribourg avant d’être repris à Paris le 22 mars. Laure Gauthier, musicologue, actuellement maître de conférences au département d’Etudes germaniques de l’Université de Reims s’est entretenue avec le jeune compositeur allemand sur l’origine et le processus de composition de l’oeuvre.
 
Le titre « Second » présuppose qu’il existe une première version. Quel est le rapport entre la nouvelle version retravaillée et le matériau premier ? L’œuvre originelle doit-elle être également jouée ?
Second renvoie à une pièce pour marimba seul. La réécriture y est déjà conçue comme principe formel. La répétition fait apparaître des tendances inscrites dans le matériau premier qui conduisent à une autre « forme concrète ». Il ne faut pas prendre le terme de « répétition » au sens propre : une évolution a lieu, le matériau ne reste pas statique, il a ses propres exigences.
Le solo pour marimba ne me permettait que très partiellement de mettre en pratique les idées de départ. Dès que j’ai commencé à composer, j’ai pensé à un élargissement instrumental. La première version reste certes visible, mais elle est complètement réécrite. Elle n’est plus qu’une étape dans le processus de composition. Elle n’est plus pertinente en tant que morceau autonome, et n’a donc plus besoin d’être interprétée.
Est-ce que ce principe d’élargissement instrumental et de réécriture d’un matériau de départ est présent dans vos autres œuvres ? Concevez-vous la composition comme un palimpseste ?
Je n’emploierais peut-être pas « palimpseste » au sens strict du terme. Il m’importe moins d’inscrire dans un matériau connu des éléments nouveaux qui ne présenteraient pas de liens avec le reste, que de dialoguer avec le matériau de départ : il est conservé dans la version finale, avec ses tendances propres, et reste visible. À mon avis, la notion de « palimpseste » est davantage pertinente comme métaphore du processus créateur. C’est quelque chose qui m’intéresse de plus en plus. Je suis fasciné par l’idée qu’un principe de composition reste visible sous forme de « thème », que l’on ne perçoive donc pas la musique comme quelque chose d’abstrait, mais que l’on voie le compositeur au travail, en train d’opérer des choix, de découvrir quelque chose de nouveau et de pratiquer des corrections. C’est la raison pour laquelle je m’interroge toujours plus sur le processus de composition, tant en ce qui concerne mes propres œuvres que lorsque j’écoute et que j’analyse la musique des autres. Même quand je n’ai pas sous les yeux les ébauches d’une œuvre et qu’il ne m’est donc pas possible de décrire objectivement la façon dont celle-ci a été conçue à l’origine, je peux quand même participer activement à ce processus créateur ; alors, soudain, une tout autre perspective se fait jour qui n’en est pas moins passionnante : revivre les choix, les actes, les découvertes, les doutes d’un compositeur et les partager.

Comment comprenez-vous le principe de « constellations voisines » qui agissent sur les éléments du matériau premier ?
C’était déjà une question importante dans le solo de marimba où de petites unités étaient répétées mais où elles avaient toujours de nouveaux « voisins ». La modification de la constellation voisine entraîne la modification partielle de l’élément lui-même. Par exemple, il était important d’adapter celui-ci aux règles de l’harmonie afin de ne pas mettre en péril l’autonomie de la forme harmonique telle que celle-ci se constitue. Les relations qui s’établissent alors de façon spontanée sont plus importantes à mes yeux que le modèle de juxtaposition qui préside à la composition. Il était donc intéressant de voir la façon dont les différents éléments se transforment et se développent selon le contexte dans lequel ils se retrouvent finalement. Le contexte modifie le matériau mais l’enchaînement des éléments détermine à son tour le contexte. Certes, cette interaction ouvre des perspectives intéressantes, mais elle constitue aussi une difficulté à laquelle le compositeur est sans cesse confronté. Mais comme l’élargissement auquel je procède dans Second n’est pas strictement formel, mais en premier lieu instrumental, et qu’il constitue de ce fait une sorte de spatialisation des idées, j’ai pu éviter en partie ces problèmes.
Les éléments ne sont pas seulement portés par de nouveaux instruments, ils sont aussi interprétés diversement par différentes voix. Plusieurs instruments formulent le même matériau, tout en le présentant différemment. Ici aussi, on peut voir une analogie avec le titre : ce n’est pas seulement le compositeur qui écrit une deuxième fois le « même » morceau, c’est aussi le matériau dans le morceau même qui est représenté plusieurs fois en lui-même. C’est aussi cela que j’entends par le terme de « spatialisation » : il s’agit moins de l’espace acoustique que de la représentation imagée de l’espace suscitée par les petites répétitions dans les éléments.

Second est dédié à Pierre Boulez. Au-delà de la reconnaissance et de l’admiration ainsi témoignées, existe-t-il des affinités entre Second et certains principes de composition chez Boulez ?
Ce qui m’a toujours fasciné chez Boulez, c’est la mise au jour du processus de création. Pour moi, par exemple, ce fut une expérience décisive de pouvoir suivre les différentes étapes de la composition de Dérive 2. Je compose toujours dans l’optique de cette possibilité de revivre un acte créateur. En outre, ce qui m’intéresse dans les compositions de Boulez, c’est le lien entre la clarté de la structure et la richesse sonore. Ce sont surtout ces moments où une pensée purement structurale se transforme en une impression sonore complexe qui constitue pour moi un défi. Dans Second, il y a certainement aussi quelque chose de cette pensée à la fois de la structure et du son, c’est en cela que réside en partie mon hommage à Pierre Boulez.
Laure Gauthier