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Double Points : Outis – entretien avec Emio Greco et Pieter C. Scholten

Éclairage Par Ensemble intercontemporain, le 12/01/2011

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Quelle relation entretiennent musique et danse au sein de Double Points: Outis ?
La musique suit de très près la danse. Le langage de la danse est certes lié à la partition écrite, mais il est aussi à l’origine d’une autre source de sons, déclenchés sur le vif et que le compositeur doit aussitôt incorporer à la partition. Ce procédé génère toujours de la nouveauté et, selon le moment, complète ou contredit la structure de la musique.
Donc, la danse, mon corps vivent dans ce contexte. Je ne danse pas sur la musique ; je réagis à un environnement. C’est un rapport différent : interagir, ajouter, reconnaître la musique ou la nier. Je dois parfois nier la musique – par un long silence, une disparition totale ou encore un rythme contrasté – car elle est si forte qu’aucune communication n’est possible. La danse se réinvente constamment afin de conserver sa raison d’exister dans ce contexte. En cela, la pièce s’articule autant par la danse que par la musique.

Emio Greco (photo : Mark Wohlrab)

Emio Greco (photo : Mark Wohlrab)


Est-ce que la technologie dont vous disposez vous permet un véritable contrôle du son, des gestes musicaux, à travers votre corps et la danse ? Êtes-vous conscient que tel mouvement déclenche tel son ?
Oui, tout à fait. Je réagis et j’ajoute des éléments à la partition. À travers la danse, je peux faire résonner la musique là où je me trouve avec mon corps. Bien sûr, je suis responsable de ma danse et de ce qu’elle représente. En dansant, on fait nécessairement appel aux articulations (genoux, coudes, etc.) et c’est sur celles-ci que les capteurs sont installés. Je peux, par exemple, décider d’arrêter une source sonore. Cette décision a des répercussions immédiates sur la structure globale de la danse qui est en train de se faire, sur son architecture, et je dois être en mesure de réagir. Pour combler le handicap qui s’est creusé, je dois faire un nouveau choix, déclencher un nouveau son qui permette à la danse de respirer autrement. Il faut donc une perception extrêmement aiguë de l’environnement et aussi un sens de la musicalité. C’est ce qui rend ce projet si captivant, qu’il soit à chaque fois différent.
Vous en êtes à la troisième version de l’œuvre. Deux éléments nouveaux ont été introduits : une structure dramaturgique et une chanteuse. Que signifie l’élément dramaturgique pour la chorégraphie en général et pour vous, le danseur, en particulier ?
Pour nous, chorégraphes, il représente un genre particulier d’articulation d’un langage. Je rentre dans la pièce avec le langage de la chair et la chanteuse avec celui de la voix, des mots. Des îlots qui n’existaient pas auparavant se forment et créent une sorte d’isolement, alors que dans les versions antérieures le voyage se poursuivait sans interruption.
Nous avons avec Hanspeter Kyburz une longue fréquentation de cette pièce, une histoire avec elle, beaucoup d’expérience accumulée. Par contre, nous avons moins travaillé avec la chanteuse. Dans la forme actuelle de mini-opéra, une tension subsiste dans la sensibilité même du chant, le projet ayant été conçu sans lui au départ. Cela requiert un certain sens de l’adaptation.
Mais en réalité, je pense que les îlots et l’isolement ont contribué à améliorer la danse. En ceci qu’elle est devenue plus explicite. Je peux être plus précis, si je sais à quel moment je me trouve à l’intérieur d’une temporalité.

Emio Greco

Emio Greco


Avez-vous établi une véritable relation avec le personnage d’Ulysse ?
Dans la pièce, les deux personnages – Ulysse et Pénélope – symbolisent à la fois des positions et la distance qui les sépare. La chanteuse communique avec sa voix, je communique avec mon corps. Cette distance est une métaphore du couple Ulysse-Pénélope : ils sont séparés et elle attend son retour. Mais on n’en sait guère plus. En fait, avant OYTI∑, j’étais déjà une sorte d’Ulysse, voyageant, ayant des tâches à accomplir et des buts à atteindre. C’était déjà une sorte d’épopée.
Sous ce rapport, il y a une logique dans la progression de l’œuvre.
Oui, une grande logique mais toujours dans l’abstraction. Tout se cache dans les textures de la pièce, dans ses sonorités et dans le corps de la danse. Pénélope et Ulysse sont présents, mais de façon abstraite, sublimée : une abstraction sublimée.
Comment définiriez-vous l’interaction entre chanteuse et danseur ?
Je ne bâtis pas mon interprétation sur le sens des mots, mais à travers l’écoute. La voix étant un instrument particulier, il fallait trouver une place dans mon corps pour le recevoir et entrer en résonance avec lui. Encore une fois, tout ceci est très abstrait. Parfois, j’attrape au vol quelques mots, délibérément, pour y ancrer quelque chose, pour y adapter une situation donnée. Mais dans l’ensemble, je crée un peu plus d’espace à l’intérieur de mon corps pour accueillir la sonorité de ce nouveau venu dans la pièce. Le son peut être interprété physiquement et, du même coup, renvoyé en réaction à la voix et à son appel.

La partition de la chanteuse est-elle parfaitement fixée ?
Oui. C’est une limitation inhérente au concept même de la pièce : je suis plus libre qu’elle ne l’est. La chanteuse est simplement une voix, une voix qui voyage sans que son corps ne bouge. En effet, elle est aussi retenue par la partition alors que je ne le suis pas. En mars, elle avait manqué de temps pour apprendre une partie aussi complexe par cœur et nous avons été forcés de la maintenir toujours au même endroit afin qu’elle puisse lire sa partition. Cette fois, elle est mieux préparée et, si tout va bien, plus libre de ses mouvements. Nous pourrons jouer avec des moments de rencontre ou de disparition, des moments où l’on donne de l’espace à l’autre, des moments où l’on va vers l’autre. C’est ce que nous allons maintenant explorer. Si nécessaire, tout deviendra plus fluide.
Propos recueillis par Melle Kromhout -Amsterdam, le 3 février 2010

Aperçu de l’œuvre et interview d’Emio Greco en vidéo (2’20) :
« Double Points: Outis » (reportage, interprétation Nieuw Ensemble)