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La Chambre aux échos, entretien avec Michaël Jarrell

Entretien Par Antoine Pecqueur, le 15/09/2010


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Le titre de votre pièce pour l’Ensemble intercontemporain, La Chambre aux échos, est celui d’un livre de l’écrivain américain Richard Powers. Qu’est-ce qui vous a inspiré dans cet ouvrage ?
J’ai découvert Richard Powers avec Le Temps où nous chantions, où s’entremêlent de nombreux thèmes : la physique quantique, la voix chantée, la ségrégation aux États-Unis… Il faut rappeler que l’auteur a fait à la fois des études de sciences et de musique. Dans La Chambre aux échos, il évoque l’avancée de la neurologie – la chambre aux échos n’est autre que le cerveau humain. Il montre comment on peut localiser scientifiquement des sentiments tels que la peur ou la joie. Les problèmes de l’adolescence s’expliqueraient par le fait que le cerveau est encore en chantier. J’ai toujours été intrigué par la réaction des gens à certains sons plutôt qu’à d’autres. Je pense que quelque chose qui vous touche fait écho à des choses que l’on a déjà en soi. Un livre que l’on aime, c’est un ouvrage qui contient des éléments auxquels on pense, mais mieux présentés, mieux expliqués.
Vous manifestez dans vos œuvres un intérêt pour la science, par exemple avec votre opéra Galilei d’après la vie de Galilée…
Dans mon concerto pour violon Prisme/Incidences, on trouve cette phrase, extraite du Zohar (NDLR : un ouvrage fondamental de la religion juive) : « Si tu veux comprendre l’invisible, cherche à comprendre le visible. » J’aime comprendre comment les choses sont faites, quels sont les mécanismes de la composition. Il y a une vraie dimension d’artisanat dans la création musicale. C’est d’ailleurs pour cela que j’enseigne la composition au Conservatoire de Genève. La science permet de comprendre ces mécanismes. Mais je ne suis pas un spécialiste !
Comment avez-vous traduit les problématiques scientifiques du livre de Richard Powers dans votre œuvre ?
C’était très compliqué. À partir du livre, on aurait pu chercher la corrélation entre les sentiments, comme la peur ou la joie, et la musique. Mais je ne voulais pas écrire une musique de film ! Il peut y avoir un côté manipulateur dans le fait d’écrire une musique pour faire pleurer ou faire peur. Dans le cadre d’une musique « pure », la problématique du livre est complexe. Comment aborder un sujet sur les sentiments sans tomber dans la manipulation ? Mahler dans ses symphonies ou Schönberg dans ses pièces pour orchestre inscrivaient, au début des partitions, des phrases en lien avec l’œuvre. Mais ils les ont très vite supprimées car à l’écoute, il était difficile d’imaginer autre chose que ce qu’elles décrivaient. Je préfère donc ne pas trop en parler…
Quelle est la construction de votre pièce ?
J’ai développé des passages sur différentes strates de temps. C’est une idée que j’élabore depuis longtemps. J’aime bien la phrase de Paul Klee selon laquelle il faut se mouvoir autour des règles et non les appliquer. Je travaille aussi beaucoup, dans cette pièce, sur l’organisation des hauteurs. J’ai par ailleurs souhaité dédier La Chambre aux échos à Pierre Boulez pour ses quatre-vingt-cinq ans. J’avais été fasciné par l’énergie de Dérive 2, avec son avalanche de notes, son maelstrom de hauteurs. Et inconsciemment, j’ai écrit le début de ma pièce dans le même esprit de tourbillon. C’est donc plus qu’un hommage.
Quel lien entretenez-vous avec l’Ensemble intercontemporain ?
C’est un peu comme une famille que je connais bien et que j’aime beaucoup. La première fois que l’Ensemble a joué l’une de mes pièces, c’était en 1985 au Théâtre du Rond-Point. Sous la direction de Peter Eötvös, l’Ensemble avait donné TraceÉcart pour soprano, contralto et ensemble. C’était un baptême du feu un peu difficile, car ce sont des musiciens hors pair mais avec une grande exigence. Ils ont côtoyé les plus grands et ont joué tellement de créations… J’ai l’impression que l’Ensemble Modern a un fonctionnement plus collégial, que les musiciens sont peut-être plus enclins à aider le compositeur. Mais au fur et à mesure des répétitions, le courant est passé. Les musiciens ont vu que je savais ce que je voulais. Après cette pièce, Jean-Baptiste Barrière m’a proposé de venir faire un stage à l’Ircam. J’ai ensuite écrit Congruences pour flûte, hautbois, ensemble et électronique. J’ai la chance aujourd’hui de voir mes pièces régulièrement jouées par l’Ensemble.
Après La Chambre aux échos, quelles seront vos prochaines créations ?
Je suis en résidence au Festival de Besançon où je vais écrire une pièce pour le concours de direction d’orchestre en 2011. Bruno Mantovani, Philippe Fénelon ou Édith Canat de Chizy ont déjà fait cet exercice. Toujours pour 2011, j’écris une œuvre pour voix et piano pour la soprano Juliane Banse, qui sera créée à la Philharmonie de Cologne, ainsi qu’une pièce pour piano destinée au Festival Liszt de Weimar. En 2012 sera créé mon Concerto pour violoncelle par Jean-Guihen Queyras. Mais j’essaie de ralentir le rythme car j’ai trop composé ces derniers temps. Je pense même prendre une année sabbatique en matière de composition, d’autant que je continue à enseigner au Conservatoire de Genève.
Propos recueillis par Antoine Pecqueur
Extrait d’Accents n° 42
– septembre-décembre 2010
photographie © Elisabeth Schneider