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Les icônes sonores de Marco Momi

Entretien Par Martin Kaltenecker, le 15/04/2010

Momi

Que placez-vous sous le terme « Iconica », qui désigne chez vous tout un cycle de -pièces ?
Ce concept est devenu important pour moi en 2006, alors que j’avais terminé ma formation « académique » à Pérouse avec Fabio Cifarelli-Ciardi, qui est lui-même passé par l’Ircam, et à Strasbourg, avec Ivan Fedele. J’ai choisi ce terme en pensant à la typologie des signes chez Charles Peirce : l’icône est liée pour lui à un moment, à un état où la temporalité de la communication reste présente ; le niveau de communication est alors direct, c’est une sorte de révélation qui continue dans le temps.
Musicalement, il s’agit de viser un objet qui permette une « abduction » plutôt qu’une « déduction », des objets qui bloquent ou qui « frustrent » un développement artisanal, déductif, discursif, proliférant, etc. Je voudrais arriver ainsi à une communication plus directe, et non pas réflexive. L’objet-icône doit ouvrir un parcours mental différent en chacun ; il s’agit de quelque chose d’ouvert, dont la perception ne se plie pas à un trajet strict et univoque. Pratiquement, j’aboutis plutôt à des -sculptures sonores, dont l’aspect -harmonique est très soudé à celui du timbre et dans lesquelles les perspectives formelles sont très claires, ou au contraire très libres : il y a des plans formels superposés, par exemple, ou qui vont se croiser.J’aime bien parler également de petits « écosystèmes sonores », qui soient singuliers et caractérisés. Là, je me réfère à James J. Gibson qui a travaillé surtout sur la perception visuelle. Deux notions m’ont intéressé chez lui : celle d’espace écologique – chaque objet, avant d’être un objet, représente un potentiel, il suggère par lui-même une sorte de parcours existentiel ; et celle de lumière environnante – il n’y a pas seulement la lumière directe qui saisit et focalise, comme dans un laboratoire, mais aussi un champ visuel dans lequel entrent d’autres éléments qui influencent ma perception de l’objet. Tout cela m’avait fortement interpellé, parce que je venais d’écoles compositionnelles qui se fondaient sur l’approche inverse, comme chez Boulez ou Stockhausen : -plusieurs rayons de lumière vont éclairer un même objet, ou une lumière elle-même changeante va le détailler, etc.
Comment cela se traduit-il concrètement dans l’écriture ?
Prenons un la bémol de clarinette : la question est alors : où vais-je le poser, dans le temps et dans l’espace, comment le caractériser par rapport à ce qui l’entoure et qui le caractérise déjà ? Un son sinusoïdal peut être un moment dramatique intense à lui seul ou une -composante neutre dans une superposition… On -entre alors dans une autre logique, on doit trouver dans chaque timbre ce qui constitue son poids, ses parcours inhérents, sa spécificité, sa valeur dramaturgique, le trajet qu’il implique, quelles interactions, quelles modifications sont possibles.
Cette approche d’exploration est parfois présente chez Lachenmann, que j’ai eu la chance de rencontrer. Il me disait par exemple : pour composer, imagine que tu sors de ton lit la nuit et que tu veux découvrir en tâtonnant la pièce et tous ses objets dans l’obscurité. C’est une approche qui veut rendre plus compliquée ou plus difficile l’exploitation conventionnelle des « figures », même s’il y a chez Lachenmann un aspect structuraliste qui n’est plus ma question.
Où en êtes-vous du projet d’Iconica 4 ?
Ce sera une collection de miniatures de trois minutes chacune, confrontées à l’électronique. Je travaille sur un univers que je connais déjà, en réfléchissant sur mon parcours : je veux à la fois déconstruire et  re-connoter  mon propre langage pour trouver, peut-être, d’autres horizons. La pièce part d’un catalogue de situations déjà établies, une sorte de « sommaire » du cycle, que je vais tester et radicaliser. L’argument est une enquête sur des typologies de développement « non rhétoriques », à partir d’un filtrage de langages partagés, de notre koinè contemporaine, notre « langue commune », pour essayer de trouver une pureté, une décantation.
Cela consiste par exemple à « dé-connoter » le timbre d’un violon classique, un son « marqué Ircam » ou tous les modes de jeu particuliers qui évoquent Lachenmann et Sciarrino, donc à trouver une approche critique de tous ces timbres déjà disponibles et des esthétiques qu’ils impliquent – et non pas une sorte de fusion de -choses prises ici et là, ce qui est un peu le -problème de notre génération. L’idéal serait que chaque miniature soit aussi un « méta-timbre », non un jeu avec des figures, mais une sorte de -macro-figure elle-même.
Propos recueillis par Martin Kaltenecker
Extrait d’Accents n° 41
– avril-août 2010
Photo Marco Momi © Elisabeth Schneider