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À la recherche d'un sens commun – entretien avec Richard Siegal

Entretien Par Benjamin Bibas, le 15/09/2009

Siegal
Glossopoeia n’est pas votre première collaboration avec des musiciens de l’Ensemble intercontemporain. Vous avez déjà travaillé avec le violoncelliste Éric-Maria Couturier…
J’ai rencontré Éric peu après m’être installé à Paris et nous avons rapidement eu le désir de travailler ensemble. Nous l’avons déjà fait à trois reprises : Opus 8, sur une Sonate pour violoncelle de Kodaly, a en fait tourné à une bataille de virtuosité que j’ai finalement perdue ; ma pièce As If Stranger, où Éric jouait seul sur scène en relation avec un enregistrement de In a Landscape de John Cage ; et Homo Ludens, créé récemment au ZKM de Karlsruhe. Dans tous les cas, j’ai souhaité introduire un élément de jeu interdisciplinaire simultané entre son instrument et ma danse. C’est une piste que je souhaiterais explorer bien plus en détail…
Certaines de vos pièces sont écrites sur de la musique, d’autres non – par exemple votre solo If. Si la musique ne génère pas le mouvement de votre corps, alors quelle est la source de ce mouvement ?
Curieusement, la musique est -elle-même composée de mouvement. La danse et la musique ont certainement évolué en tandem et font partie d’un tout complexe. Certaines études conduites par des neurologues, à base d’imagerie cérébrale, décrivent ainsi l’empathie instinctive que nos corps ressentent pour le rythme. Le son, la lumière et les stimuli perceptibles par le corps sont tous traduits en influx nerveux qui génèrent un mouvement du corps directement lié à ces stimuli.
Récemment, j’ai créé la pièce Muscle en collaboration avec le musicien pop -expérimental Arto Lindsay. Notre point de départ était une recherche sur le lien entre la danse et la musique. Dans Muscle j’ai intégré If, un solo sans musique créé à New York en 2004. Signifiant ainsi cette idée fondamentale que la danse est à mon avis un art à écouter autant qu’à -regarder.
Nombre de compositeurs contemporains parlent de formes fractales. Alberto Posadas se réfère par exemple au travail du biologiste hongrois Aristid Lindenmayer. Ces considérations traversent-elles aussi votre manière de chorégraphier ?
En 2004, j’ai créé un duo intitulé If/Then dans lequel les danseurs enchaînent une série complexe de structures chorégraphiques. If/Then entendait explorer la question de la perception par le public des choix opérés en temps réel par les danseurs au cours de la performance. J’ai ensuite développé ce travail à travers une méthode qui a beaucoup à voir avec le propos d’Alberto Posadas sur la composition : nous sommes tous les deux arrivés à des processus d’écriture stochastiques, c’est-à-dire qui comportent au moins une composante aléatoire.
Comme les formes fractales, la méthode employée pour If/Then génère en effet des structures récurrentes. Et en tant que chorégraphe, j’essaie de situer ces structures à l’intérieur d’une dramaturgie qui soit elle-même fractale. Dans Glossopoeia, j’ai essayé d’unifier ma méthode de travail avec celle d’Alberto. J’ai même tenté de transcrire son écriture à l’aide d’un générateur de mouvement, non sans résultats intéressants. Peut-être un logiciel générateur de formes fractales, fonctionnant en lien avec un logiciel de reconnaissance de gestes comme celui mis au point par Frédéric Bevilacqua à l’Ircam, pourrait-il être un bon moyen d’élaborer des images à partir des choix des danseurs.
D’où vient le titre Glossopeia ? Que -signifie-t-il ?
La linguistique est une autre discipline qu’Alberto et moi intégrons à notre processus de création. Le terme Glossopoeia a été introduit par J.R.R. Tolkien et signifie « création d’un langage » en grec ancien. Ainsi, je prends pour ma part plaisir à construire des relations structurées entre plusieurs gestes qui se succèdent. Et je sens qu’il y a un point de bascule où ces relations se fondent en fait sur des composantes essentielles du langage, comme la syntaxe et la grammaire.
De façon assez liée à ces considérations, je suis fasciné par les mécanismes d’évolution culturelle. Mon vocabulaire chorégraphique peut être lu comme une créolisation d’influences qui, à leur tour, sont surtout des créolisations d’influences précédentes. Quand je travaille avec d’autres danseurs, j’essaie de créer les circonstances par lesquelles les mouvements vont subir une série de modifications intenses, comme s’ils étaient soumis à une évolution accélérée ou aux règles d’un langage artificiel.
Propos recueillis et traduits de l’anglais par Benjamin Bibas
Extrait d’Accents n° 39
– septembre-décembre 2009
Photo : Richard Siegal © Maud Chazeau