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Danse fiction – entretien avec Arnulf Herrmann

Entretien Par Martin Kaltenecker, le 15/01/2009

Hermann
Cet entretien a été réalisé lors des répétitions du premier cahier des Fiktive Tänze, jouées par l’Ensemble intercontemporain au festival de Donaueschingen. Le second cahier est écrit pour les seize cuivres de l’Ensemble et sera créé à la Cité de la musique à Paris le 6 février 2009.
Quels ont été les moments clefs de votre formation ?
J’ai rencontré beaucoup de personnalités et j’ai eu un grand nombre de professeurs, puisque j’ai plusieurs fois changé de conservatoire. J’ai commencé à Dresde, avec Jörg Herchet et Wilfried Kretzschmar, j’ai ensuite passé un an à Paris pour étudier avec Emmanuel Nunes et Gérard Grisey (c’était la première année des échanges Erasmus), après quoi j’ai étudié à Berlin avec Friedrich Goldmann. Puis, je suis retourné à Paris suivre le cursus de l’IRCAM en tant qu’auditeur. Enfin, il y a eu encore deux années avec Hanspeter Kyburz à Berlin. Donc, des personnalités et des mondes absolument différents. Mon premier séjour à Paris a vraiment constitué un élargissement de mon horizon intellectuel. Par exemple, à l’époque, en 1995-1996, même si la musique spectrale était déjà ancienne, elle n’était pas du tout aussi présente que maintenant en Allemagne. J’étais comme une éponge et j’ai tout absorbé.
La présence de quarts de ton a-t-elle été la conséquence d’un « vaccin » français ?
Il a surtout fallu trouver le courage de les utiliser. Pour que je m’avance sur ce terrain, la musique spectrale, que la génération de Hurel, par exemple, employait déjà beaucoup plus librement, a été très importante en effet. Je ne cherche pas le côté naturel dans un spectre ou avec la micro‑tonalité. Mon travail est beaucoup plus un travail de déformation des matériaux sonores ; un accord spectral pur reste quelque chose de fascinant, de très particulier, dont il faut tenir compte ou se garder comme d’un accord parfait de do majeur ; entre-temps, c’est devenu un accord de supermarché. L’emploi des micro-intervalles reste toujours pour moi quelque chose de périlleux, on avance sur la corde raide. Même pour obtenir des unissons, comme dans le premier cahier des Fiktive Tänze, cela nécessite un travail de répétition méticuleux, mais je n’obtiendrais cet effet et cette qualité avec rien d’autre. Dans la première de ces danses, je travaille encore avec des spectres, pour le cor et le trombone, des spectres purs mais enchaînés très rapidement, comme des molécules sonores, que je désaccorde progressivement. L’écoute de ces transformations est empirique, c’est un apprentissage que je traverse moi-même. Il y a dans ce cas l’idée de déformer un état pur. Dans le troisième mouvement, Kurzer Rausch, par exemple, la ligne du violon est comme étirée vers le bas et le haut, selon un axe autour duquel tourne un son gonflé ou enflé, et le même procédé est appliqué aux accords verticaux.
Il y a dans votre musique des textures, des gammes, quelques lignes, mais peu de -figures, ce n’est pas une musique « thématique ».
Je dirai que c’est une musique basée plutôt sur des motifs – pas au sens de Beethoven, bien sûr. Dans le premier cahier des Fiktive Tänze, il y a ce Schwieriger Tanz, la « danse difficile », avec les fameux unissons. Tous les instruments ont les mêmes motifs, mais toujours un peu décalés dans l’espace. La danse ne signifie pas pour moi tel type de danse, comme le menuet, mais la question du schéma en musique : des schémas qui se répètent, des suites de modules identiques ou similaires, ce qui définit justement une succession de pas dans une danse. Dans la première, il y a une succession immuable de douze noires (ou 48 doubles‑croches) et on n’y touche pas. Dans la troisième, je transforme de l’intérieur chaque temps (chaque noire) avec des micro-tempos ; les périodes ont une durée égale, mais les doubles-croches oscillent ; elles se ramollissent, en somme. C’est une instabilité toujours rattrapée par une stabilité. La cinquième, la « difficile », je la compare à un immeuble vidé de l’intérieur, dont seuls les murs sont debout : le premier temps est clairement marqué par le tuba et la grosse caisse, suivis des motifs toujours similaires, mais comme mis dans un shaker, donc le 2 n’est jamais à côté du 1, le 3 jamais à côté du 4, etc. La période est toujours marquée, mais à l’intérieur, rien n’est jamais exactement semblable.
Ce côté « de guingois » m’a fait penser à Hoffmann, au punch, au Carnaval de Schumann… Est-ce que vous buvez beaucoup à Rome, à la Villa Massimo [L’Académie allemande de Rome] ?
(rires) On m’a déjà demandé, après le solo de clarinette de la dernière danse, si je prenais des drogues ! Ces références me plaisent bien, mais l’idée poétique était vraiment ce travail sur l’irrégularité au sein d’un schéma fixe. Si cela suscite ce genre d’images, c’est parfait, moi-même j’ai trouvé dans la troisième danse un côté presque hystérique… Mais il reste que quand je parle d’un travail avec 48 doubles‑croches, ce n’est pas abstrait ou technique, cela forme un tout avec une volonté expressive, avec une vision -sonore, les deux aspects sont inextricablement mêlés.

Propos recueillis par Martin Kaltenecker
Extrait d’Accents n° 37
– janvier-mars 2009
Photo : Arnulf Hermann © Nicolas Havette