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Le projet Pollini – entretien

Entretien Par Pascal Huynh, le 15/01/2009

Pollini
En 1995 voyait le jour à Salzbourg le premier « Progetto Pollini » qui s’est depuis poursuivi à New York, Tokyo, Rome… Quelles réflexions ont été à l’origine de ces séries de concerts ?
Hans Landesmann, qui s’occupait alors de l’organisation des concerts, eut l’idée d’organiser de petits cycles un peu particuliers. Les œuvres de musique moderne et de musique ancienne voisinaient avec le répertoire classique, ce qui m’a donné l’occasion de remonter dans le passé, du XVIIIe siècle jusqu’à Guillaume de Machaut. Le projet était de donner au public une vision plus large du répertoire musical. Fréquemment, les concerts réunissent des œuvres des XVIIIe et XIXe siècles, voire de la première moitié du XXe siècle, les périodes précédentes demeurant relativement ignorées du grand public. Celui-ci pourrait bénéficier de nouveaux horizons s’il connaissait ces œuvres antérieures à l’établissement de la musique tonale. Quant à la seconde moitié du XXe siècle, elle a vu surgir de grands génies qui sont loin d’être connus d’un vaste public. C’est dans ce cadre que nous avons essayé de penser et d’agir de manière différente.
Ces « Perspectives » parisiennes contribuent ainsi à analyser l’histoire musicale sous l’angle de la modernité…
Je voudrais insister sur la nécessité de jouer la musique moderne. Rappelons-nous ce qu’a dit Kandinski au début du XXe siècle lorsqu’il s’est approché d’un mode d’expression nouveau : l’art est contenu et forme. Le contenu, c’est ce que le compositeur veut exprimer. La forme, la surface de l’œuvre d’art par laquelle il peut communiquer ce qu’il a en lui. En cherchant, le peintre ou le compositeur trouve certaines couleurs, certaines notes, certaines lignes. Il a un rapport de nécessité avec le langage qu’il utilise. Les conservateurs demandent aux compositeurs d’écrire de manière plus simple pour qu’ils puissent les comprendre ; or, ceci est impossible car les artistes doivent exprimer autre chose que ce qu’on leur demande de dire. Ils ne peuvent pas changer la forme de leur œuvre, ils sont liés au langage par un rapport de nécessité absolu. Le public doit se rapprocher des œuvres à mesure qu’il les -fréquente. Cette exigence est un enseignement de l’histoire : Bach, Mozart, Beethoven, Wagner et d’autres ont pu rencontrer l’incompréhension précisément en raison de la complexité, de la nouveauté de leur art. Je continue à jouer l’Opus 11, l’Opus 19 ou l’Opus 23 de Schönberg. Ces musiques remarquables, composées à un moment historique donné, deviendront populaires…
Dirigé par Pierre Boulez, le programme du 31 mars 2009 est centré sur Webern et la forme aphoristique…
En jouant plusieurs œuvres de Webern, nous essayons en effet de mieux faire comprendre au public la poétique du compositeur. L’extrême brièveté des pièces de cette période rend difficile la transmission de la poésie de la composition. Les Trois Petites Pièces op. 11, le Concerto op. 24, les Lieder op. 3, 4 et 12, les Variations op. 27, la Symphonie op. 21 et les Cinq Pièces op. 10 font suite aux Pièces op. 19 de Schönberg et aux Quatre Pièces op. 5 de Berg. Ce programme est une réflexion sur la forme aphoristique. Le précédent dans l’histoire musicale est fourni par la dixième des Bagatelles op. 119 de Beethoven, peut-être le morceau le plus court jamais composé. Certains préludes de Chopin veulent également tout dire dans un nombre de mesures fort -limité…

Propos recueillis par Pascal Huynh
Extrait d’Accents n° 37
– janvier-mars 2009
Photo © Nicolas Havette

L’intégralité de cet entretien figure dans Pollini Perspectives, en vente à la Salle Pleyel à partir du 5 janvier 2009. © Cité de la musique