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Quand on ne peut plus parler, on chante : Olaf A. Schimtt s’entretient avec Miroslav Srnka

Entretien Par Miriam Lopes, le 15/09/2008

Srnka

À chaque nouvelle œuvre, tu trouves un point de départ différent. Pour ne citer que quelques exemples : un fait divers aux informations télévisées – un garçon enseveli lors d’un tremblement de terre et donné pour mort – a entraîné la composition de Reading Lessons ; le titre de Kráter Brahms fait, lui, référence au cratère de Mercure qui porte le nom du compositeur. Une lettre de Janácek à sa bien-aimée Kamila est au centre de Tak klid et Les Adieux ont été écrits à la mémoire des enfants morts de Dvorák. Simple Space, brève pièce pour violoncelle, s’inspire d’une église brûlée en Finlande. Que fait naître en toi la musique ?
Intéressant. Je dirais, contrairement à toi, que ma source d’inspiration a été la même depuis six ans. Lors de ma première interview publiée, le journaliste avait choisi pour titre « Il n’existe que deux sujets – l’amour et la mort ». Cela ne signifie nullement que je compose dans une veine expressionniste. Bien au contraire : le traitement du matériau est de plus en plus rigoureux et « objectif » dans mes compositions.
L’amour et la mort ne pouvant être objectifs, n’y a-t-il pas là contradiction ?
L’équilibre entre le subjectif et l’objectif est le problème majeur de la musique contemporaine. Il s’est imposé comme tel, pour beaucoup, lorsqu’on a tenté de revenir à une musique objective. Poussée trop loin cependant, cette attitude conduit à un fétichisme du matériau, à un jeu vide autour du matériau musical. Pour échapper à ce piège, je m’appuie, en début de travail, sur une sélection du matériau particulièrement parlante sur le plan expressif. Pour cela, j’ai besoin de ces sujets-inspirations très forts dont nous avons parlé, qui, de toute façon, demeurent toujours subjectifs.
Un matériau musical de ce type se prête à un traitement objectif mais peut aussi se diluer au profit d’un message personnel qui, seul, confère à l’œuvre tout son sens.
Dans les cas cités plus haut, Kráter Brahms fait exception : l’œuvre se situe, par sa substance, dans une période antérieure aux six dernières années, antérieure à la naissance de mon premier enfant…
Les petits enfants se manifestent fortement à travers leur voix – non pas avec des mots mais avec des sons. Écrire pour la voix humaine me semble un défi immense, car l’être humain est pour ainsi dire transformé en instrument.
Mais l’être humain n’est jamais transformé en instrument – c’est même là que réside la différence « phénoménologique » et psycho-acoustique entre chanter et jouer d’un instrument. En témoignent les tentatives ratées d’intégration discrète de la voix à un ensemble instrumental : l’oreille se focalise automatiquement sur la voix.
Aujourd’hui cependant, dans nos sociétés,  le chant nous demeure le plus souvent étranger. Nous en avons désappris l’évidence à travers nos processus de socialisation, à l’inverse des sociétés dites archaïques. La question se pose donc pour les compositeurs de savoir ce qu’apporte le chant…
Ne plus pouvoir parler ou ne plus se retrouver dans la parole. Je cherche toujours des sujets et des textes où le fait même de chanter comporte en soi une dimension dramaturgique. Les dysfonctionnements de la communication sont dissous dans le chant, c’est-à-dire, en réalité, des situations extrêmes que l’on ne peut plus saisir par des mots. Le chant paraît alors parfaitement naturel. Lorsque mes enfants sont joyeux, ils sautent, dansent, chantent, crient – tout sauf parler.
Dans le chant, la personne est nue et terriblement exposée à l’échec. Comment considères-tu cette situation à risque ?
J’essaie d’en tirer parti. Le suspense irrésistible de la voix chantée tient pour beaucoup au sentiment que tout peut s’effondrer dans la seconde qui suit. La fascination démesurée pour les aigus ou les passages rapides trouve là son origine. Mon rôle en tant que compositeur est de trouver un juste milieu et d’écrire quelque chose qui soit encore confortable pour le chanteur mais déjà de l’ordre de l’inconcevable pour l’auditeur.
Comment se comporte la voix chantée face aux instruments d’un ensemble ou face à un piano, dans le domaine du lied ?
Dans le cas d’une structure du matériau comme celle que je viens d’esquisser, la tâche consiste à trouver ce qui, étant réalisable par la voix, la rend éloquente. Autrement dit, il s’agit non pas d’anéantir la structure, mais de la mettre au service des voyelles, de la strate du soliste. Le chanteur doit se sentir à la fois intégré et soutenu. Il en résulte un traitement de la voix totalement nouveau et cependant naturel, libéré de toute surcharge expressionniste. Dans ce sens, il me semble que les Quatre Chants pour franchir le seuil de Gérard Grisey sont un modèle. Dans cette pièce, l’exploration raisonnée, inlassable du matériau se surpasse elle-même et atteint une dimension proche du rituel. Grisey, tout particulièrement, m’a amené à la musique contemporaine. Malheureusement, il était déjà mort lorsque je suis venu à Paris pour mon séjour d’études au Conservatoire. Exactement au moment de sa mort, il y a dix ans, je faisais entendre à Prague, à l’occasion d’un concert d’étudiants, une première petite pièce…
Traduction Miriam Lopes
Extrait d’Accents n° 36
– septembre-décembre 2008
Photo : Miroslav Srnka © Nicolas Havette

Né à Prague en 1975, Miroslav Srnka fait des études de composition et de musicologie dans sa ville natale puis à Berlin et Paris. Ses œuvres ont été créées par le Quatuor Arditti, l’Ensemble Modern et Ostravská banda, entre autres. En 2005, son court opéra Wall est créé au Staatsoper de Berlin. Sa résidence à Heidelberg au cours de la saison 2006-2007 se concrétise par la création de trois pièces orchestrales. En 2007, Miroslav Srnka a été retenu par le Jerwood Opera Writing Program à Aldeburgh. Ses œuvres sont publiées aux éditions Bärenreiter.

Olaf A. Schmitt est né en 1977. À partir de la saison 2008-2009, il sera conseiller dramaturgique à la Bayerische Staatsoper de Munich, après avoir occupé pendant trois ans le même poste auprès du Théâtre et de l’Orchestre philharmonique de Heidelberg.