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Christine Schäfer, reine de l’impro – entretien avec Miriam Lopes

Entretien Par Miriam Lopes, le 15/09/2008


Vous avez souvent chanté sous la direction de Pierre Boulez. Que vous apporte ce travail avec le compositeur ?
Pierre Boulez, lorsqu’il dirige, a cette faculté de rendre absolument claires et intelligibles les choses les plus difficiles. Et ceci est valable aussi bien pour ses propres œuvres que pour celles d’autres compositeurs. Il atteint ce haut degré d’évidence et de simplicité avec un minimum de moyens, presque rien, en réalité. Il fait peu de mouvements, de mouvements significatifs, mais la musique se lit sur son visage. C’est très impressionnant. Et le sentiment qu’on éprouve à chanter sous sa direction est un vrai bonheur.
Dans les œuvres au programme, vous serez accompagnée par des ensembles instrumentaux différents chez Stravinsky et chez Boulez. Comment dialoguez-vous avec ces couleurs sonores ?
Vaste question ! Je chante et si je tombe juste, je suis heureuse ! Plus sérieusement, il est clair que cette musique est difficile. Mais en réalité, le résultat sonore se met en place de lui-même. Il faut une grande concentration et il est impossible de s’abandonner comme dans un air de Mozart.
On imagine que toute la difficulté consiste justement à ne pas faire sentir cette difficulté ?
Oui, c’est le but à atteindre, que les gens ne soupçonnent pas la difficulté. Ce qui d’ailleurs est vrai de tous les compositeurs et de toutes les époques. L’aisance, l’évidence, voilà ce qui fait la beauté. C’est aussi ce qui est beau chez Boulez lorsqu’il dirige : si peu d’efforts, de dépense inutile. Tout le travail est intérieur, dans sa tête, et cela rend tout si merveilleux. Bien sûr, l’effort est là, mais il ne doit pas être visible de l’extérieur.
Qu’est-ce qui est particulièrement intéressant pour vous dans la vocalité du XXe siècle par rapport aux autres répertoires que vous avez l’habitude de chanter ?
C’est très variable selon les compositeurs. Chez Pierre Boulez, ce serait de l’ordre de la couleur sonore, une musique picturale en quelque sorte. Chez Aribert Reimann, en revanche, c’est l’émotion qui prime. Il est impossible de généraliser. La musique contemporaine est très difficile à apprendre, mais pas plus difficile à chanter que d’autres, au contraire. Il me semble que, techniquement parlant, elle est même plus facile puisqu’on a la certitude que, le compositeur mis à part, personne ne s’apercevra si l’on fait des erreurs ! C’est différent avec Mozart : chanter la Reine de la Nuit pose d’autres problèmes… La musique contemporaine exige une grande précision au niveau des hauteurs, du rythme, pour être à même de bien la servir. On ne peut pas se fier à son intuition ; il faut rester concentré sur le texte musical.
Mais, à travers ce texte, que cherchez-vous à transmettre ?
Pour moi, quand elle est bien écrite, la musique contemporaine est aussi importante que Mozart, Bach ou les Romantiques. Mon rôle est de l’amener jusqu’au public, pour qu’il n’ait pas une réaction du type : « oh, encore un charivari auquel on ne comprend rien ». Je dois essayer de la rendre aussi compréhensible que possible. Mais pour cela, les œuvres doivent être de qualité, comme toutes celles que j’ai eu à chanter jusqu’à présent, fort heureusement. L’exercice est inutile, si l’on n’a pas cette exigence. Il ne suffit pas de chanter les notes. Il y a l’atmosphère de l’œuvre à sentir et à transmettre, tout ce qui se passe à un niveau très profond, subconscient.
Quelle est alors la place du texte poétique ? Un pur matériau sonore, un sens à dévoiler ?
Je pense qu’à l’origine d’une pièce vocale – peut-être n’était-ce pas le cas pour Bach –, la principale motivation pour le compositeur réside dans le texte lui-même. Et je pars de ce principe. Je ne suis pas compositrice mais je sais, pour en avoir longuement discuté avec Aribert Reimann, que plusieurs voies sont possibles. On peut, comme pour l’opéra, mettre en musique un texte en s’inspirant de l’expression parlée. Mais avec la poésie, par exemple, on peut chanter un mot que l’orchestre décrit ensuite de façon imagée. Enfin, les possibilités sont multiples. Mais il me semble que le texte est toujours le point de départ de la musique.
En tant que chanteuse, quel plaisir avez-vous à chanter la musique contemporaine ? Peut-on même parler de plaisir ?
C’est une question, sans aucun doute ! Quand j’ai le sentiment que la musique est précieuse, alors oui, j’ai beaucoup de plaisir. Mais il y a aussi des musiques de notre temps qui, d’une certaine façon, n’existent que pour elles-mêmes ou bien d’autres que tout simplement je ne comprends pas et que je préfère ne pas chanter. Il n’y a qu’une musique contemporaine que je chante : celle qui me donne de la joie.
Miriam Lopes
Extrait d’Accents n° 36 – septembre-décembre 2008

Photo : Christine Schäfer © Olivier Hermann/Vogue