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Le fils aimé de l’océan (Lautréamont) – entretien avec Philipp Maintz

Entretien Par Jean-Pierre Derrien, le 15/01/2008

Maintz

Pouvez-vous nous dire quel rapport entretiennent vos dernières pièces (en particulier Gelände/Zeichnung pour piano et électronique et Fluchtlinie, pour baryton et ensemble) avec la pièce à venir pour -l’Ensemble intercontemporain ?
Dans la pièce pour piano et électronique, j’ai essayé de trouver du nouveau dans le traitement de l’électronique. C’était ma troisième pièce pour instrument et électronique, après LIED(geborsten), pour ensemble et électronique et une petite étude pour l’Ircam en 2005, pour violon et électronique, qui ne m’a pas vraiment convaincu, disons, mais je l’ai bien caché. Je peux maintenant recourir à la musique avec électronique ; cette pièce est d’une certaine manière une étude pour devenir plus familier avec l’électronique.
En ce qui concerne l’autre pièce, pour -baryton et ensemble : si on écrit une pièce purement instrumentale, on peut utiliser une forme bien développée, presque synthétique. Mais le texte a une dramaturgie propre, qui peut tout à fait se développer dans une toute autre direction ; il y a parfois des envies différentes. Lorsque j’ai écrit ma première pièce pour une voix et un instrument, septemberalbum/acht, pour voix et piano (2006), j’ai fait l’expérience qu’on ne peut pas mettre une voix dans une forme complètement synthétique. Il m’a fallu changer mes techniques compositionnelles dans une direction beaucoup plus – je ne veux pas dire improvisée – mais beaucoup plus libre. Cette pièce pour baryton était importante pour développer un certain répertoire de gestes, d’atmosphères, et pour mieux appréhender la façon que j’aurais d’écrire pour une voix.
Ce sont les deux directions que j’espérais : l’électronique que vous avez envie de maîtriser, à chaque fois avec une expérience un peu différente, et la problématique de la voix : vous dites qu’on ne peut pas fabriquer un système formel trop contraignant avec un texte. Or, la pièce qu’on va entendre de l’Ensemble intercontemporain est une pièce avec voix, électronique et un ensemble. D’abord, de qui est le texte ?
J’ai découvert, il y a quelques années, les Chants de Maldoror de Lautréamont, qui m’ont évoqué, quand je les ai lus, une -atmosphère très musicale. J’avais déjà imaginé en le lisant comment une musique pourrait se fondre avec ce texte. J’ai toujours refusé l’idée que ça pourrait être un sujet pour un opéra. Finalement, malgré le fait de rejeter l’idée, j’ai découvert que c’était bien pour l’opéra. Cette pièce sera sur le même sujet de Maldoror.
Cette pièce est une scène de l’opéra ou bien quelque chose emprunté aux Chants de Maldoror qui ne sera pas dans l’opéra ?
Cette pièce deviendra une partie de la première scène de l’opéra.
C’est emprunté à quel Chant ?
Il y a une grande partie des Chants de Maldoror autour de l’océan ; j’ai un dramaturge avec qui nous avons travaillé ce Chant et nous avons essayé de le condenser pour le raccourcir. Ce sera dans la première scène de l’opéra : il y aura une soprano, sorte de mélange entre une Cassandra et la Reine de la Nuit, qui a vraiment l’air d’être méchante, suffisante, arrogante, mais aussi sentimentale, en train de commenter l’humanité.
Quelle direction prenez-vous lorsque vous réduisez les six Chants de Maldoror pour en faire un opéra et comment travaillez-vous avec votre dramaturge ?
Nous avons travaillé de manière très allemande, je pense. D’abord, nous avons fait un plan, une sorte de résumé. Après ça, nous avons essayé de trouver des corrèlations entre les divers chants et leurs strophes. Ensuite, nous avons pu voir comment les Chants de Maldoror étaient structurés. Nous avons essayé de voir comment on pourrait connecter, associer les diverses scènes. Enfin, nous sommes arrivés à une sorte de schéma. Finalement, il y a quelque chose comme un livret préliminaire, que j’utilise en composant, mais que je condense encore.
Conservez-vous l’ambiguïté entre le personnage qui dit le texte, disons le poète, et Maldoror lui-même, ou bien l’abandonnez-vous ?
Il y a un Maldoror avec une autre personne, une sorte d’alter-ego ; on a quelque chose comme deux Maldoror sur la scène.
Dans quel genre de scène pensez-vous tout de suite à recourir à l’électronique et pourquoi ?
Ca m’évoque beaucoup l’idée d’un certain son, et aussi l’idée qu’il y a quelque chose comme des fantômes de son qui circulent dans tout l’espace, y compris dans le public. Peut-être laisser tout cela apparaître de façon un peu, disons, surréaliste. Concernant cela, j’ai une image en tête qui est assez simple. Pendant mes études, j’ai travaillé dans une agence de voyage qui était située près de l’aéroport de Tegel à Berlin. Quand j’y allais le matin, il fallait changer de bus et attendre à un endroit où des avions arrivaient à l’aéroport. Quand les avions passaient, on pouvait entendre les turbulences dans l’air qui arrivaient beaucoup plus tard. C’étaient des sortes de voix qui venaient comme des fantômes, sans qu’on puisse complètement localiser d’où ça venait. C’était très court, mais c’est une image que j’ai en tête à propos de l’utilisation de l’électronique dans l’opéra.
Gardez-vous la langue originale française ou le faites-vous en Allemand ?
Non, je le fais en Français. La pièce que j’ai faite pour baryton et ensemble, en Allemand, c’était simplement une des contraintes de la commande.
En ce qui concerne la manière de dire le texte, est-ce qu’il y a des modèles auxquels vous vous référez dans l’histoire de la musique, ou au contraire des modèles dont vous ne voulez absolument pas vous inspirer ?
Disons que je n’ai pas trouvé une solution générale pour ces questions.
Si vous me disiez le contraire, je me dirais « il est fou ». Personne n’a trouvé de solution bien sûr, c’est pour ça qu’on continue.
Lors d’un entracte d’un concert, ici à Paris, j’étais en train de parler de ça avec Lowrens Langevoort qui m’a dit : « achète toi Il trovatore et lis ça un après-midi. Et demande-toi simplement ce qu’il veut, ce qui se passe là. » Je l’ai donc fait, et il avait vraiment raison.
Il a raison mais Il trovatore est en Italien, et vous allez vous battre avec le Français…
C’est vrai, mais peut-être je suis un peu naïf.
Non, vous êtes fou, puisque vous commencez un opéra !
Oui, j’ai découvert que c’était complètement fou.
Je crois que vous êtes organiste de formation ; y aura t-il de l’orgue dans Maldoror ?
Non. Quand Peter Ruzicka m’a demandé si j’aimerais écrire un opéra, j’ai dit « oui, pourquoi pas ». C’est seulement plus tard que j’ai réalisé avoir dit oui. Il voulait que j’écrive un opéra de chambre. En développant différents plans sur ce que pouvait être un opéra, j’ai étendu l’idée de départ et l’effectif. Finalement, ce sera un véritable orchestre de cinquante musiciens. Il va me tirer les oreilles si je veux encore faire dans l’excès comme à Salzburg. Si en plus, j’arrive avec -l’orgue…
Pour finir, de qui vous sentez-vous -proche ?
J’aime beaucoup la musique de Pascal Dusapin. j’admire aussi beaucoup les premières œuvres publiées de Hanspeter Kyburz que je trouve très intéressantes, très bien faites. J’ai essayé deux fois d’étudier avec lui, mais malheureusement ça ne s’est jamais fait. C’est vraiment dommage parce que j’ai eu l’impression que je pourrais apprendre beaucoup chez lui.
Propos recueillis par Jean-Pierre Derrien
Extrait d’Accents n° 34
– janvier-mars 2007
Photo : Philipp Maintz © Nicolas Havette