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Sounds of silence – entretien avec Mario-Antonio Pérez-Ramirez

Entretien Par Bertrand Bolognesi, le 15/09/2007

Ramirez
« Ligne rompue, répétée avec insistance, Shouting Silences laisse jaillir des énergies et des tensions s’intensifiant à chaque instant, dans un climat qui toujours se déplace et se dérobe ». Par ces mots, Marco-Antonio Pérez-Ramirez indique que son Concerto pour violoncelle et ensemble poursuit l’idée des « synapses émotionnelles », creusée depuis huit ans par Sounds in the grass (1999), Dérive, quand je suis devenu fou (2000), Les synapses émotionnelles (2000), Du Corps (2003), et enfin Rimbaud, la parole libérée, son opéra créé ce printemps à Montpellier. « Comment des liens neuro-biologiques deviennent des pensées, voilà ce qui me préoccupe. Lorsque j’écris, les connexions que j’établis sur le papier deviennent, dans mon cerveau, des connexions entre les sens, engendrant une conscience de soi et un recul sur ce que je suis en train de faire, et qui ouvrent mille directions ». Non soumis à un dessein trop précisément prémédité, l’acte créateur se métabolise dans la perception simultanée des nombreuses possibilités qui s’offrent à lui jusqu’à fragiliser, avec enthousiasme, le projet à la faveur du geste. « Voilà l’essentielle liberté de se trouver devant un précipice.  Rappelons-nous Bergson : une action libre est une action qui ne préexisterait en aucune manière, pas même sous forme du possible à sa réalisation. Cela fait peur, comme la liberté peut faire peur ».
Dans vos pièces d’orchestre, survient souvent une séquence isolant un instrument. Aujourd’hui, après votre concerto pour violon Atacama, vous vous lancez dans Shouting Silences, pour violoncelle et ensemble. Le genre concertant occasionne-t-il une exploration plus focalisée de ces îlots ?
Comme l’opéra, le concerto induit une question philosophique qui ne sera jamais résolue : le rapport de l’un à tous. Placer un individu face à une collectivité est toujours intéressant. Chacun traite ce problème comme il l’entend, mais la question n’est pas dépassée. Des pièces d’orchestre à l’opéra, toute ma musique interroge la survie de l’artiste dans notre société.
Pourquoi le violoncelle ?
Imaginant Shouting Silences comme un réseau, une écriture pour cordes en glissés rapides me paraissait indiquée. Bien que ces fils n’aient pas tissé leurs connexions, le violoncelle demeure. Outre qu’il est présent dans mon travail avec Dérive, quand je suis devenu fou et des opus chambristes comme le trio Les synapses émotionnelles et Un souffle, c’est l’un des premiers instruments pour lequel j’ai écrit. En 1995, j’ai présenté Canto à Luca Francesconi. Ces trois mouvements pour violoncelle solo (1993) furent le terrain d’une rencontre intense, pour moi essentielle. À leur propos, il parla de duende, terme emprunté au flamenco où tout est vécu dans la vérité de l’instant. Le duende habite la musique qu’il fait proliférer d’elle-même, au-delà de la volonté des interprètes – ils sont embarqués ! –, ce qui en fait toute la magie. Or, je conçois la musique au présent, sans me préoccuper de la troisième mesure lorsque j’écris la première, l’essentiel étant, dans cette conscience aiguë du temps comme jaillissement ininterrompu de création, de faire et non de chercher à faire. Je suis très attaché au flamenco, à la proximité qu’il nécessite. De fait, mon travail est désormais plus direct qu’à l’époque des « synapses émotionnelles » : avec Shouting Silences, qui marque la fin de quelque chose, je recherche cette simplicité-là.
Très présente dans vos œuvres, la percussion ouvrira Shouting Silences. Que représente ce personnage dans votre imaginaire sonore ?
C’est d’autant plus étrange que je ne voulais pas d’elle dans ma musique. Je me suis toujours méfié de la facilité qu’elle engendre à l’écoute. La séduction sonore ne peut être le point de départ d’une pièce ; ce n’est pas suffisant. Le timbre, trop peu puissant pour porter une œuvre entière, manque souvent l’essentiel. En 1999, les Percussions de Strasbourg ont souhaité me commander une nouvelle page. Malgré toutes ces réticences et réserves, Sounds in the grass est né de cette rencontre. Il me fallut alors trouver des solutions pour échapper à la séduction. Et si aujourd’hui la percussion est  importante dans mon écriture, je reste toujours aussi méfiant à son égard, de sorte que je la traite comme une voix contrapuntique qui chante sèchement. Je lui évitela résonance – je n’emploie jamais de claviers – et exige qu’elle dépasse l’anecdotique. Ma percussion est désertique. Pour la décrire, j’utilise souvent le mot sable.
Votre démarche porte-t-elle l’empreinte d’inspirations nées de vos régulières collaborations avec la danse et les arts plastiques ?
Au fil d’un parcours chaotique, j’ai plus souvent appris dans les expositions, musées, livres et spectacles, que dans les cours de composition que j’ai très peu fréquentés. Je m’entoure aujourd’hui d’artistes d’autres disciplines, sans pour autant que ma démarche musicale soit issue de leurs problématiques. C’est la rencontre qui m’intéresse. Dans la collaboration, nos discours restent  autonomes. Il faut des écritures fortes, puissantes. Nous nous efforçons ensemble de créer du sens, dans le respect de nos domaines. Ma musique est contaminée par ces rencontres où la confiance est primordiale. Travailler avec la danse, la littérature et les arts plastiques est devenu une évidence. J’aime aussi m’ouvrir à un autre public que celui des salles de concert.
Propos recueillis par Bertrand Bolognesi
Musicographe et analyste, Bertrand Bolognesi collabore aux publications de La Lettre du Musicien. il est également correspondant français de
The Organ et dirige la chronique d’Anaclase
(www.anaclase.com)
Extrait d’Accents n° 33
– septembre-décembre 2007
Photo : Mario-Antonio Pérez-Ramirez © DR