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Identités musicales – entretien avec Veli-Matti Puumala

Entretien Par Risto Nieminen, le 15/09/2007

Puumala

Veli-Matti Puumala est né en 1965. Il est professeur de composition à l’Académie Sibelius à Helsinki depuis deux ans. Considéré comme un compositeur au style original, très sophistiqué sur le plan technique, il est moins souvent joué à l’étranger que quelques autres de ses compatriotes, tels Magnus Lindberg, Kaija Saariaho ou Kimmo Hakola. Il partage aujourd’hui son temps entre l’enseignement et la préparation de son premier opéra.

Il vous est arrivé de citer votre professeur à l’Académie Sibelius, Paavo Heininen, qui déclarait : « Si un compositeur ne peut constater qu’il a fait quelque chose de nouveau, d’inédit, il ne peut affirmer avoir fait quoi que ce soit ». Le devoir éthique du compositeur serait donc de chercher d’autres solutions que celles qui apparaissent comme les plus évidentes. Que cherchez-vous, et comment cette recherche artistique se manifeste-t-elle dans vos œuvres ?
Tout d’abord, je ne cherche pas à bâtir un style unique. Au contraire, je me pose de nouveaux défis pour chaque nouvelle œuvre. Cela ne veut pas dire qu’on ne peut déceler des lignes de convergence dans ma production, des caractéristiques qui lient mes œuvres entre elles. Plus qu’une ligne droite, je vois mon parcours comme une arborescence, comme des branches rattachées à un même tronc mais différentes les unes des autres.
Comment décrire votre parcours stylistique ?
Je viens d’une région de la côte ouest de la Finlande, l’Ostrobothnie, qui est connue pour sa riche tradition musicale folklorique. C’est un savoir qui se transmet de générations en générations, et de nombreux habitants jouent un instrument, souvent le violon. Je n’ai jamais participé activement à cet exercice, mais cet univers de mélodies modales m’a probablement laissé une trace, bien qu’inconsciente. Mes origines musicales me rattachent à la tradition européenne d’un post-sérialisme, marqué par une forte expression gestuelle et une dramaturgie interne de l’œuvre. Quoique rejetant de mon vocabulaire toute forme de post-modernisme ou de collage, il m’arrive d’utiliser des styles différents au cours d’une même œuvre, mais à la condition que tous les éléments soient intégrés et cohérents.
Au milieu des années quatre-vingt-dix, je me suis intéressé à la confrontation de deux types de matériaux à l’intérieur d’une même composition. À côté d’un matériau chromatique, j’ai disposé des éléments modaux faisant peut-être référence à l’environnement folklorique de mon enfance. J’ai laissé place aux deux mondes qui se trouvent en moi-même. Plutôt que de rechercher une pureté stylistique, j’ai opté pour une unité d’expression. Je ne pars pas d’une seule idée qui se multiplierait au cours de l’œuvre, mais je pose des matériaux multi-ples sur ma table de travail, et je laisse ensuite les identités musicales chercher des points de contact et leur juste place dans le temps. J’ai étudié cette confrontation de matériaux dans quatre œuvres successives, dont Chains of Camenae (1995 – 1996), et j’y suis revenu de temps à autre. Dans une pièce plus récente, le concerto pour piano Seeds of Time (2004), je prends une direction que j’avais évitée jusque-là, en essayant de donner une expression aux événements musicaux dans le temps, plutôt que de lier ces événements par une stricte directionnalité dramaturgique.
Vous avez déclaré que l’acte de composer, chez vous, était toujours précédé par l’acte de dessiner. Quel rapport existe-t-il entre l’esquisse initiale et la partition finale ?
Je distingue trois phases dans mon processus d’écriture. Pour commencer, je donne une visualisation graphique à la musique que je veux faire émerger. Cela m’aide à réfléchir à des directions, des vélocités ou encore des couleurs. À ce stade, je ne pense pas aux hauteurs, aux durées, à l’instrumentation. Dans une deuxième phase, je dois donner naissance au matériau, à des idées concrètes. J’écris des rythmes, des harmonies. C’est la partie la plus lourde. Je me retrouve avec beaucoup de séquences, dont je ne sais pas tout de suite en quels points de l’œuvre elles vont s’intégrer. Les détails s’organisent au bout d’un dialogue continuel entre le matériau et la forme. La dernière tâche consiste à écrire la partition, ce qui demande une certaine technique. C’est là qu’intervient le « métier » de compositeur.
Depuis 2005, vous êtes professeur de composition à l’Académie Sibelius, l’unique conservatoire supérieur national de musique en Finlande. Vous avez ainsi hérité la position de votre propre maître. Vous avez la réputation d’être un excellent pédagogue…
Je considère que l’enseignement est profi-table si le professeur a déjà une certaine expérience artistique. Il faut apprendre à avoir confiance en ses propres idées, se montrer indépendant vis-à-vis de son propre enseignant, avant de se mettre à enseigner à son tour. Il est évident que ce travail prend beaucoup de temps et d’énergie… et qu’il a un effet dramatique sur mon emploi du temps ! Mais le fait d’être contraint à retourner aux sources, à des principes élémentaires, impose en même temps de remettre ses habitudes en question. Il s’agit de trouver le bon équilibre entre ce qu’on donne et ce qu’on reçoit.
Propos recueillis par Risto Nieminen, directeur du festival d’Helsinki
Extrait d’Accents n° 33
– septembre-décembre 2007
Photo : Veli-Matti Puumala © Saara Vuorjoki