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Une aventure musicale – entretien avec Michel Follin

Entretien Par Gaelle Plasseraud, le 15/04/2007


Follin
Michel Follin a consacré de nombreux films à sa passion, la musique, et tout particulièrement la musique d’aujourd’hui. Il vient de réaliser Une aventure musicale, l’Ensemble intercontemporain, dont il est co-auteur avec Philippe Olivier. Un rendez-vous à ne pas manquer sur Arte, le 14 avril à 22h30.
Vous avez réalisé de nombreux films sur la musique. Qu’est-ce qui vous a amené à emprunter cette voie ?
J’ai beaucoup travaillé comme chef monteur des films de François Reichenbach, qui réalisait des portraits de musiciens ou de compositeurs pour une série d’émissions de télévision intitulée « Grâce à la musique ». Ces émissions étaient d’ailleurs déjà diffusées à 20h30, c’était un autre temps. Ce fut l’occasion de collaborer avec de nombreux acteurs de la musique classique, comme Karajan, qui avait un regard très acéré sur les montages des films de musique. Je suis devenu réalisateur au début des années quatre-vingt, tout d’abord pour des documentaires à caractère sociologique. Des producteurs se sont souvenus de mon passé de monteur de films sur la musique et ont fait appel à moi pour la série des « Leçons particulières de musique » que diffusait La Sept. J’ai ensuite continué à travailler régulièrement sur la musique, en réalisant notamment un premier portrait de l’Ensemble intercontemporain en 1991, Solistes ensemble.
Qu’est-ce qui est spécifique aux films sur la musique ?
Les techniques musicales, les gestes des musiciens ne sont pas assez mis en avant au concert, et en particulier dans la musique contemporaine, qui pour moi est une musique qui se voit autant qu’elle s’écoute. Ce que j’espère et que je tente à chaque fois, c’est que la caméra appuie ce geste musical. Je ne suis pas maître de la lumière, je n’ai que celle qu’on me donne sur les scènes, alors que l’interprétation mériterait un travail de directeur photo, à l’instar des scènes théâtrale et chorégraphique.
L’autre difficulté, c’est qu’au départ, je ne suis pas non plus maître de mon scénario. Les musiciens ont un planning, ils ne jouent pas spécifiquement pour la caméra, je profite de leur activité. Ensuite, j’effectue un travail de re-création dans la phase de montage, où là je peux créer une narration autour de ces moments de musique enregistrés pendant les répétitions. Dans Une Aventure musicale, je suis parti des révolutions du début du siècle. Évolution technologique, invention du cinéma, découverte de l’inconscient ont transformé le monde et l’esprit du monde. Au même moment, il se passe aussi une révolution dans l’écriture musicale avec l’apparition de l’atonalité et la création de la Société d’Exécutions musicales privées fondée par Schönberg, qui ressemble étrangement à l’Ensemble intercontemporain. J’ai trouvé intéressant de faire le parallèle et de commencer l’histoire de l’Ensemble par ses ancêtres. La trajectoire musicale du film, qui part de Schönberg, avec le Pierrot lunaire, pour conclure avec le DJ eRikm « recréant » une pièce de Gérard Grisey n’est pas innocente.
L’une des difficultés des films sur la musique, c’est de faire cohabiter deux mondes aux écritures et aux techniques spécifiques. Ce qui a été formidable sur le tournage d’Une aventure musicale, c’est le rapport qui s’est instauré avec l’Ensemble intercontemporain – d’autant que j’avais l’avantage d’en connaître déjà certains « piliers ». Le fait de pouvoir être là sans avoir l’impression de gêner les musiciens a permis de faire que nos deux pratiques coexistent.

Comment se sont construites les images ?
J’ai été frappé par les lieux où j’ai tourné. J’ai désiré mettre en avant cette architecture musicale que l’on ressent dans la Cité de la musique, ses lignes, ses perspectives, les associer à la musique en en faisant surgir la mémoire sur ses murs. Le Kultur und Kongress Zentrum de Lucerne conçu par Jean Nouvel – où l’Ensemble anime chaque année une académie d’orchestre – est également un lieu d’aujourd’hui, parcouru de lignes faites de métal et d’eau. J’y ai vu une modernité, une esthétique qui n’était pas étrangère au répertoire de l’Ensemble,aux écritures musicales contemporaines. De même pour l’entretien avec Pierre Boulez, tourné à la Fondation Vasarely d’Aix-en-Provence : l’œuvre cinétique de Vasarely « dialogue » avec la musique contemporaine.

Seize ans après, comment avez-vous perçu l’Ensemble ?
Très vite, ce qui m’a frappé chez les interprètes, c’est une acuité nouvelle, un rapport au monde qui a évolué. Lors de notre première rencontre, j’avais affaire à un ensemble qui faisait de la musique, interprétait au mieux le texte. Aujourd’hui, il s’agit plus d’une réflexion sur le monde, sans doute liée à la fusion des disciplines – danse, vidéo, musiques actuelles, DJ, rap… On sent que les interprètes ont cette volonté d’ouverture, qu’ils sont aussi interprètes de notre monde. Sans doute est-ce dû aussi aux compositeurs de notre époque : leurs musiques se présentent plus clairement comme une traduction du monde que celles des générations précédentes. Le public « large » aurait du mal avec ces nouvelles écritures ? Il n’aurait pas les repères pour écouter cette musique-là ? Je pense au contraire que ce sont des musiques beaucoup plus simples qu’on ne le croit, mais qui demandent un effort, et d’abord de venir les voir. L’auditeur doit œuvrer, travailler avec son oreille et ses tripes. La musique classique a produit des œuvres sublimes dans lesquelles j’ai plaisir à me « vautrer », mais je suis plus aiguillonné par des choses qui m’interpellent, et la musique  contemporaine me questionne. Toute création est politique. Il n’y a pas d’art sans réflexion sur le monde. Cette musique-là, c’est un acte qui a un sens, qui doit interpeller les gens, les faire réfléchir. Ces pièces disent des choses sur aujourd’hui. À ce titre, l’Ensemble intercontemporain est l’une des rares formations qui prennent des risques… et me fassent avancer.

Propos recueillis par Gaëlle Plasseraud
Extrait d’Accent n° 32
– avril-juillet 2007
Photo © Luc Hossepied