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Tremplin 2007 – Une nouvelle génération de compositeurs

Grand Angle Par Catherine Heyden, le 15/04/2007

Tremplin
À l’heure où l’Ensemble intercontemporain et l’Ircam fêtent leurs trente ans, leur engagement envers la création musicale contemporaine est plus que jamais d’actualité. Il prend une dimension supplémentaire : l’inscription dans la durée et la nécessaire continuité assumée vis-à-vis d’une nouvelle génération de compositeurs.
Un comité de lecture commun aux deux institutions a été créé en 1982. Parmi plusieurs centaines de partitions reçues chaque année, une collaboration avec l’Ircam ou l’Ensemble  intercontemporain est proposée à quatre compositeurs par le biais d’une commande, ainsi qu’à une dizaine d’autres compositeurs qui pourront participer au cursus de composition et d’informatique musicale à l’Ircam.
Coup de pouce aux personnalités émergentes de la création musicale contemporaine à l’orée de leur carrière, ce comité de lecture a permis la reconnaissance de compositeurs désormais aussi chevronnés que Michaël Levinas, Michael Jarrell, Luca Francesconi, ou plus près de nous, Unsuk Chin, Aureliano Cattaneo,  Pierre Jodlowski, Franck Bedrossian, Jérôme Combier.
Le projet « Tremplin »
Le cycle de concerts « Tremplin », imaginé il y a cinq ans, s’inscrit dans le prolongement du travail du comité de lecture. En plus des commandes, la découverte des partitions révèle plusieurs compositeurs dont le travail est prometteur, indice d’une personnalité originale. « Tremplin » parie sur ces intuitions du comité de lecture, et propose au public de prendre le risque de la découverte, en brûlant les étapes de la reconnaissance.
Quelques compositeurs en tête de liste ont été retenus à l’issue de la réunion du comité de novembre 2005, pour une séance de lecture sous la direction de Susanna Mälkki qui a eu lieu avec les musiciens de l’Ensemble intercontemporain en août 2006. Cette rencontre, propice à l’échange et à la concertation, représente une chance exceptionnelle de collaboration, d’expérimentation et de mûrissement des idées. C’est une rare opportunité que de faire entendre une esquisse de projets en cours de composition. Les candidats sont ainsi confrontés aux éventuels hiatus existant entre la conceptualisation, l’écriture de la musique et sa réalisation, aux écarts possibles entre leurs désirs et les contraintes techniques des instrumentistes.Ils sont conviés individuellement à une discussion argumentée avec les membres du jury1. A l’issue de ce processus, trois d’entre eux reçoivent la commande d’une œuvre de dix à quinze minutes , qui sera présentée en création mondiale, lors du  concert du 22 juin 2007.

L’édition 2007
Cette cinquième édition2 réunit des compositeurs aux individualités très différentes, déjà très affirmées, et aux propositions singulières : la Chinoise Leilei Tian, l’Italien Valerio Murat et l’Allemand Matthias Krüger, auxquels s’ajoute un quatrième jeune compositeur, le Français Jonathan Pontier, qui a retenu l’attention pour son caractère atypique.
Tous ont en commun le foisonnement d’idées, la richesse de matériaux, de formes et d’imaginaires, et une extrême exigence. Exigence remarquée à la fois dans l’écriture, vis-à-vis des concepts développés, et vis-à-vis de l’interprète auquel est demandé un investissement important.
Avec Burning Rose, Leilei Tian ouvre sa partition à des séquences improvisées. Construite en aplats et en dynamiques contrastées, en alternances de vide et de plein, de légèreté et d’accumulations, de discrètes mises en relief, sa musique est empreinte de délicatesse. En poète et philosophe s’inspirant de Pascal, Leilei Tian pose les questions de l’Amour et du Sacrifice, de la Mort et de la Résurrection, l’intitulé de sa pièce représentant la métaphore d’une quête spirituelle pour un Amour éternel, d’un balancement entre le Cœur et la Raison. Par sa musique, elle tente de résoudre les conflits, les oppositions, la profondeur et l’obscurité des sentiments humains.
Leilei Tian est née en 1971. Elle étudie le piano et la composition à Pékin puis à Göteborg (Suède) avant de venir en France où elle suit le cursus de composition et d’informatique musicale de l’Ircam. Elle participe aux sessions de composition de B. Ferneyhough à l’Abbaye de Royaumont et au Centre Acanthes. Plusieurs prix lui ont été décernés. Elle est actuellement en résidence de compositeur en Suède. En France, ses œuvres ont été jouées au festival Résonance 2003 (Ircam) et GRAME 2005 (Lyon).
Dans Quatre pièces pour grand ensemble, Matthias Krüger revendique une filiation à Anton Bruckner et György Ligeti, et questionne l’avenir de la création contemporaine avec un « Finale » volontairement entre guillemets. Il explore les microtonalités et les sons de base non-tempérés. Il manipule avec une extrême précision les effets de continuité et de rupture, les ambitus étendus et démultipliés entre instruments, les distorsions d’espaces et de temporalités sonores. D’un grain particulier et d’une grande finesse, ses œuvres placent l’écoute de l’auditeur en situation de surprise permanente, au plus profond des textures sonores.
Matthias Krüger est né en 1980. Il étudie le piano, le violon et la composition à Trossingen et Cologne, où il suit les cours de direction d’orchestre de P. Eötvös, J. Stockhammer et Z. Nagy. À Darmstadt, il étudie la direction avec J. Kalitzke et reçoit le prix de composition de l’Internationales Ferienkurse für Neue Musik. Il assiste D. Smeyers à l’Ensemble für Neue Musik (Cologne). En 2003 et 2004, il étudie la composition avec F. Durieux au Conservatoire de Paris et suit le stage de composition et d’informatique de l’Ircam.
Visez au Cœur !!! (Sauvez la face), pour « deux âmes, onze exécutants et quatre voix futuristes »3, utilise une bande et des procédés informatiques de traitement du son travaillés à l’Ircam.
Valerio Murat affectionne les processus expérimentaux, maniant déséquilibres, contrastes, déplacements de motifs musicaux et agrégats d’ensembles instrumentaux. Les saturations sonores dilatent et compressent tour à tour l’espace. Le compositeur théâtralise sa musique, requérant des modes de jeux et des déplacements inhabituels, créant d’aventureux effets dramaturgiques.
Valerio Murat est né en 1976. Il a étudié la composition, la musique chorale et la musique électroacoustique. Lauréat du Prix Gaudeamus d’Amsterdam et du Concours International de Musique et d’Art Sonore Électroacoustique de Bourges, il prépare une thèse sur les relations entre les processus créatifs dans la composition instrumentale et dans la poésie expérimentale. En 1997, il co-fonde le Centre Hermès – Laboratoire Intermédia des Sons et des Images. Il collabore avec le Festival Europe où il met en scène des œuvres de théâtre musical. Il est actuellement chef du Chœur Symphonique Cesare Sterbini de Ferentino.
Avec ses (De)fragmentations on Bob Dylan, Jonathan Pontier se réapproprie l’univers du chanteur. Adepte du détournement, il élabore des « passerelles sonores et stylistiques » entre la culture musicale américaine de la deuxième moitié du XXe siècle – rock, pop, folk, country, chanson politique, opéra… – et son insertion dans la musique contemporaine « savante » européenne, en se référant aux Folk Songs de Berio. Issu d’une culture du fragment et du zapping, son travail révise avec humour les notions de complexité et de progrès. Présent sur scène, il réalise un traitement informatique en direct, afin de « retranscrire cette mise en danger, ce refus du compromis, cette recherche constante de nouveaux langages, en cassant la forme jusqu’à ce qu’elle ploie, en une espèce de blues de la fin d’un monde. Un blues dont la mélodie pourrait survivre à travers les âges… »

Jonathan Pontier est né en 1977. Autodidacte, il entre au Conservatoire de Paris en 1997. Il y opère la synthèse de ses points d’ancrage musicaux : rock, musique contemporaine et jazz. Il aime explorer de nouveaux matériaux et de nouveaux instruments, tel l’OMNI de Guy Reibel. Il compose pour des musiques de film, des spectacles de rue, la chanson et s’intéresse au rap et aux musiques du monde.
Michael Jarrell
Trei II, pour soprano et cinq instrumentistes (1982)

En parallèle à ces créations de jeunes compositeurs, les concerts de « Tremplin » proposent d’associer une œuvre d’un de leurs aînés, en guise de fil d’Ariane tendu entre deux générations, entre voies tracées et à tracer. Il s’agit cette année de Michael Jarrell4 qui utilise, pour Trei II la formation du Pierrot Lunaire (1912) de Schönberg. Le choix de cette œuvre est hautement symbolique pour « Tremplin » par la mise en abîme du processus de filiation dans les notions mêmes de modernité et d’exploration de champs musicaux nouveaux. Michael Jarrell s’attache au phénomène de « détriplement », par l’alternance juxtaposée de tempi différents et par l’emploi de textes en français (François Le Lionnais), en allemand (Konrad Bayer) et en anglais (Richard D. Laing). Il s’exprimait récemment dans Accents : « Parfois, je voudrais tirer du matériau quelque chose de radicalement nouveau. Giacometti a dit à la fin de sa vie qu’il n’était pas parvenu à capter le regard, et qu’il fallait s’acharner sur les mêmes choses pour les transpercer. Le matériau n’est pas l’essentiel, c’est ce que l’on en fait qui compte. Il peut être anodin, ou au contraire caractérisé, mais ce qui est important, c’est le parcours effectué à partir de ce matériau5 ». Ces propos inspireront sans doute la nouvelle génération dans ses choix à venir. Le concert « Tremplin » du 22 juin prochain nous donnera l’occasion d’appréhender les riches orientations d’ores et déjà explorées par ces jeunes compositeurs.

Catherine Heyden
Extrait d’Accents n° 32
– avril-juillet 2007
Photo : Matthias Krüger et Susanna Mälkki © Luc Hossepied

1- Cette année : Yan Maresz et Frédéric Durieux, compositeurs, Pierre Strauch, violoncelliste à l’Ensemble intercontemporain et compositeur, Susanna Mälkki, directrice musicale de l’Ensemble intercontemporain, Frank Madlener, directeur de l’Ircam et Cyril Béros, directeur de la pédagogie et de l’action culturelle à l’Ircam.2- « Tremplin » a en outre donné lieu à une transposition à  l’image : Michel Follin consacre une séquence de son film documentaire sur les trente ans de l’Ensemble intercontemporain à une séance de lecture « Tremplin » du mois d’août 2006. Il y souligne les moments forts de l’élaboration de l’esquisse de la partition poétique et bruitiste de l’une des participantes, la Japonaise Noriko Baba.
3- Les «
deux âmes » sont celles de Louison Bobet et Fausto Coppi : cette pièce fait partie d’un tryptique en hommage aux champions sportifs.
4- Lui-même remarqué par le comité de lecture à vingt-cinq ans, en 1983, avec la commande de Congruences (1989), il est devenu juré du comité de lecture en 1995.
5- Philippe Albèra, «
Entretien avec Michael Jarrell », in : Accents n°27, septembre-décembre 2006.